Amélie Nothomb : Hygiène de l’assassin
12/03/2013
Amélie Nothomb, née en 1967 à Kōbe au Japon, est une écrivaine belge francophone. Elle partage sa vie entre la France et la Belgique. Hygiène de l’assassin, paru en 1992, est son premier roman.
Le célèbre romancier Prétextat Tach, lauréat du prix Nobel de littérature, atteint d’un cancer des cartilages n’a plus que deux mois à vivre. Aussitôt la nouvelle tombée, les journalistes tentent de décrocher l’interview ultime. Les quatre premiers ressortent de leur entretien, sonnés et écœurés par le personnage. L’écrivain, obèse de quatre-vingt-trois ans ne pouvant plus marcher, se nourrit abominablement, fume vingt cigares par jour, mais ne boit pas et pratique l’abstinence depuis une éternité. Imbu de sa personnalité, méprisant, cassant, il se joue des journalistes prenant plaisir à les humilier. Jusqu’à l’entrée du cinquième intervieweur, une jeune femme.
Le roman débute alors réellement. Les interviews ou affrontements précédents étaient à sens unique, l’écrivain manipulant à son gré les journalistes, la jeune femme, elle, s’avère beaucoup plus retorse que prévue. Le manipulateur devient le manipulé et Nina, la jeune femme, va réussir à faire cracher le morceau à l’obèse, le poussant dans ses derniers retranchements, l’obligeant à avouer le secret enfoui depuis son adolescence et par-là même à se découvrir lui-même. Le dragon est terrassé certes, mais Nina en sort-elle réellement indemne ?
Curieux roman. Si le fonds m’a semblé intéressant, la forme m’a moins convaincu. On trouve déjà dans ce premier roman la touche caractéristique d’Amélie Nothomb, une légèreté certaine dans le ton comme dans l’écriture avec néanmoins ces réflexions pertinentes, ce questionnement tout azimut, ces touches de culture jamais ostentatoires mais qui rappellent discrètement au lecteur qu’il a un roman d’écrivain entre les mains.
Cette légèreté tient à l’écriture, le livre n’est constitué que de dialogues faits de phases très courtes mais qui ne sonnent pas toujours justes, mais elle est aussi présente – hélas – dans les propos parfois trop outranciers de l’obèse, comme sa critique non argumentée sur la laideur des femmes en général, « toutes les femmes sont des boudins » et sa misogynie tellement outrée qu’elle n’est ni crédible, ni drôle, « Les femmes actuelles sont encore pires que les ménagères d’antan qui, elles au moins, servaient à quelque chose ». Il s’agit pour Amélie Nothomb de montrer son personnage principal sous son aspect le plus crasse et répugnant bien sûr, mais j’ai trouvé la manière trop lourde. Ceci dit, le roman date de 1992, en vingt ans nos mentalités ont peut-être évolué plus vite qu’on ne le croît ?
Par contre, le roman ouvre des portes à la réflexion sur la littérature quand Nothomb s’interroge sur l’intérêt d’interroger un écrivain sur son livre, « soit il répète tout haut ce qu’il écrit dans son livre, et c’est un perroquet ; soit il explique des choses intéressantes dont il n’a pas parlé dans son livre, auquel cas ledit livre est raté puisqu’il ne suffit pas » ; ou bien quand elle évoque ceux qui parlent de livres qu’ils n’ont pas lus, « il existe aujourd’hui des brochures qui permettent à des analphabètes de parler des grands auteurs avec toutes les apparences d’une culture moyenne. » Et enfin, sa théorie sur les lecteurs-grenouilles qui lisent sans lire vraiment, et le rôle de l’écrivain « Modifier le regard : c’est ça, notre grand-œuvre. »
Au final, un avis mitigé car partagé entre de bons moments quand le fonds aborde des questions essentielles ou bien quand par la narration, à la fin du roman Nina accule l’obèse dans les cordes à l’issue de leur combat verbal ; mais aussi déçu par des passages pas très bien négociés comme les interviews simplettes des trois premiers journalistes ou l’outrance de l’obèse parfois.
Conclusion, un roman dont on a plus plaisir à discuter, qu’à lire. Au bout du compte, c’est peut-être mieux, non ?
Amélie Nothomb Hygiène de l’assassin Albin Michel
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