Houellebecq et Lévy : Ennemis publics
15/03/2013
En préambule nécessaire, je dois reconnaître que si ce bouquin paru en 2008 ne m’était pas tombé par hasard entre les mains et contre ma volonté, je ne l’aurais pas lu. Pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Les mauvaises raisons d’abord, car elles ne sont ni honorables, ni de l’ordre du littéraire mais tiennent de la personne, en l’occurrence ces deux écrivains bien particuliers. On voit là poindre le débat jamais clos, faut-il ou non distinguer l’écrivain en tant qu’homme de son œuvre ? Encore qu’ici, ne s’agissant pas d’un roman donc d’une fiction, mais d’un débat entre deux intellectuels bien réels, leurs personnalités ne puissent être ignorées, étant au centre de ce livre.
Michel Houellebecq je l’ai lu et plusieurs de ses romans sont chroniqués ici. En tant qu’écrivain j’hésite entre bon et très bon, en tout cas toujours intéressant. Par contre son œuvre révèle des aspects de sa personnalité qui me troublent ou me mettent mal à l’aise, étonnant effet miroir entre ses écrits et son physique malingre et souffreteux, voire maladif. Ses livres m’attirent, sa personnalité me repousse un peu.
Bernard-Henri Lévy lui, je ne l’ai jamais lu. Trop présent depuis toujours dans les médias, de son opposition en tant que « nouveau philosophe » à André Glucksmann il y a une éternité, jusqu’à sa caricature assumée de lui-même, la chemise blanche immaculée ouverte sur son bréchet glabre, le cheveu romantique frémissant sous la brise venue du désert. L’image prenant le pas sur le personnage.
La bonne raison enfin et surtout, pour ne pas vouloir lire ce bouquin à priori, je ne suis pas amateur de correspondances. Car ce texte se présente comme une série d’échanges épistolaires entre Houellebecq et Lévy, des lettres se répondant l’une à l’autre, écrites entre janvier et juillet 2008.
Le titre et l’entame du livre n’étaient pas faits pour contredire mon apriori négatif. « Ennemis Publics », déjà perce une fanfaronnade prétentieuse. Quand on parle d’ennemi public, on songe à un dangereux personnage qui met en péril la société ou ses citoyens quels qu’ils soient, or Houellebecq et Levy ne concourent pas dans cette catégorie. Au mieux ou au pire ( ?) pour eux, ils le sont mais dans l’espace clos autant qu’étroit des intellectuels parisiens. Quant à la première ligne du texte, « nous sommes l’un comme l’autre des individus assez méprisables » écrit Houellebecq, vantardise provocante permettant de désamorcer par avance les critiques négatives qu’il attend, qu’il espère, car sans elles, ce livre n’a aucune raison d’exister. Là aussi, l’affirmation s’adresse aux mêmes intellectuels, car le lecteur lambda lui, est surtout en droit de s’interroger, pourquoi perdre mon temps à lire une paire d’individus méprisables ? Cette seule phrase dépeint assez bien une facette de Michel Houellebecq, balancer du glauque à la gueule du lecteur et le mettre au défi de s’y enfoncer en continuant sa lecture.
Passer cette première barre d’écueils n’était donc pas rien, j’ai poursuivi ma lecture jusqu’à son terme et ce, je peux le dire, en y trouvant une part d’intérêt. Certains passages m’ont franchement ennuyé, d’autres me sont passés au-dessus de la tête car pas assez calé en concepts philosophiques ou connaissances littéraires, j’avais du mal à suivre. Mais quand les deux écrivains abordent des sujets comme la création littéraire et la poésie ou encore la religion ou du moins ce qui peut y ressembler, l’entretien devient passionnant. Sinon, il est aussi question de leur enfance, de souvenirs personnels, de la misère du monde et de politique, de lynchage médiatique etc.
On serait tenté de vouloir savoir qui des deux écrivains s’en tire le mieux à l’issue de cette rencontre, même si cette réaction est un peu ridicule je l’avoue. Néanmoins, j’ai trouvé Houellebecq plus « petit joueur » comparé à Lévy dont la prose ne manque pas de belles envolées exaltantes faisant appel à des sentiments nobles. Houellebecq est un pessimiste qui se demande « si l’humanité est une expérience qui mérite d’être poursuivie », Lévy est plus combatif. Houellebecq a la rancune tenace, limite radotage, contre les journalistes qui l’ont cassé (Assouline, Demonpion…) alors que Lévy semble (nous faire croire qu’il peut) oublier plus facilement, un choix tactique qui lui pourrit moins la vie. Tout du long de ce recueil de lettres, BHL a le mérite de tenter d’élever le débat et son écriture insuffle un vent de culture encyclopédique qui n’est pas désagréable.
« Il serait d’ailleurs injuste de jeter la pierre aux éditeurs ; à quand remonte la dernière fois où j’ai vu, dans une librairie, un rayon poésie ? Et que peuvent faire les libraires, s’il n’y a pas de public ? Nous vivons peut-être dans un monde (c’était la conclusion de Ghérasim Luca juste avant son suicide) où la poésie n’a simplement plus de place. » [Michel Houellebecq]
Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy Ennemis publics coédition Flammarion Grasset
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