Colum McCann : Les Saisons de la nuit
29/04/2013
Colum McCann né en 1965 à Dublin est un écrivain Irlandais. Après des études de journalisme, il travaille comme rédacteur pour l'Evening Herald puis devient correspondant junior pour l'Evening Press de Dublin dans les années 1980. À l'âge de 21 ans il part aux Etats-Unis et sillonne le pays, multipliant les petits boulots. Il décide ensuite de partir vivre au Japon, avant de revenir à New York où il vit aujourd'hui et enseigne l'écriture. Son roman Les Saisons de la nuit date de 1998.
Le premier chapitre, très court en deux pages, se déroule en 1991 et présente rapidement Treefrog, un SDF vivant dans un tunnel sous New York. Le second chapitre, beaucoup plus long nous permet de faire connaissance avec Nathan Walker, ouvrier tunnelier construisant une ligne de métro sous l’Hudson en 1916. Tout le roman va désormais s’articuler entre ces deux dates lointaines.
Nathan Walker a 19 ans quand commence le récit. Il travaille à la construction d’un tunnel ferroviaire, un boulot dangereux et éprouvant mais qui créé des liens entre les ouvriers et c’est ainsi, qu’il deviendra ami pour la vie avec Con O’Leary l’Irlandais, Sean Power et Vannucci l’Italien. Nathan lui, est un noir venu de Géorgie. A eux quatre ils forment une petite bande multiculturelle dans un pays et à une époque où le racisme sévit, ce dont Nathan subit chaque jour les conséquences. Brimades exacerbées quand plus tard, Nathan épousera une femme blanche, Eleanor, fille d’O’Leary et dont il aura plusieurs enfants dont leur histoire va venir se greffer à la narration globale.
De son côté, dans le futur, Treefrog vit seul dans un tunnel de New York où il s’est aménagé un chez lui. Aucun confort, dans le sens commun où nous l’entendons, il fait froid, il n’y a aucunes commodités bien sûr, mais il s’y sent bien. Autour de lui, d’autres malheureux se sont installés, chacun se créant son propre univers solitaire. Jusqu’à l’arrivée d’Angela. Violée, battue, droguée, elle se rapprochera un peu de Treefrog à un moment, et de leurs discussions va surgir lentement et de manière confuse, l’histoire de la vie de ce Treefrog.
L’une des grandes réussites de ce roman tient dans sa construction savante. Historique d’abord, puisque le lecteur se retrouve balloté d’une époque à une autre, passé et présent s’éloignant ou se rapprochant ; narrative ensuite, car McCann ne dévoile pas son intrigue simplement, elle est comme en léger décalage, l’explication de situations arrivant après leurs descriptions ce qui oblige le lecteur à rester attentif pour suivre le cours de l’histoire et les liens entre les personnages. Si rien n’est évident durant la lecture, tout se tient et chaque pion est en relation avec son voisin, hier comme aujourd’hui, la vision globale n’étant révélée qu’à la fin.
Si la forme est donc particulièrement soignée, le fond emporte encore plus l’adhésion. A l’aide de phrases courtes et sèches mais d’une puissance rare tant chaque mot est chargé d’émotion, Colum McCann nous donne un roman réellement poignant comme on n’en lit peu souvent et faites moi confiance, je n’emploie pas une formule toute faite. Malgré un ton d’écriture qu’on penserait détaché, que ce soit pour décrire des joies comme des peines, l’écrivain nous met parfois au bord des larmes. Ses personnages, des gens très simples devant endurer la violence physique ou verbale permanente, font preuve d’un courage et de qualités morales exceptionnelles et leurs souffrances donnent tout son prix à ce livre.
Mêlant les faits réels à la fiction de son roman, avec en toile de fond le racisme, ce poison mortel lourd de conséquences pour les acteurs de ce drame, Colum McCann touche avec Les Saisons de la nuit, à la quintessence de la littérature ou pour le dire autrement, au chef-d’œuvre.
« Parfois, des couples s’injurient en se penchant aux fenêtres. Tout un paysage d’amour et de haine. Une brutalité sensible dans l’atmosphère. De la tendresse aussi, pourtant. Il y a là quelque chose de si vivant que le cœur de la ville semble près d’éclater de toute la douleur qui y est accumulée. Comme s’il allait soudain exploser sous le poids dela vie. Commesi la ville elle-même avait engendré toutes les complexités du cœur humain. Des veines et des artères – semblables aux tunnels de son grand-père – bouillonnantes de sang. Des millions d’hommes et de femmes irriguant de ce sang les rues de la cité. »
Colum McCann Les Saisons de la nuit Belfond
Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot
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