Bruce Machart : Le Sillage de l’oubli
05/08/2013
Bruce Machart, né au Texas, vit et enseigne à Hamilton dans le Massachussets. Il est issu d'une famille d'agriculteurs d'une contrée rurale proche du compté de Lavaca, où se déroule l'intrigue du Sillage de l'oubli publié en 2012 en France.
Texas, 1895. Un propriétaire terrien, Vaclav Skala, voit sa femme mourir en mettant au monde leur quatrième fils, Karel. Vaincu par la douleur, l'homme entraîne ses enfants dans une vie austère et brutale. Pour lui, seuls comptent désormais ses chevaux de course montés par Karel, et les paris qu'il lance contre ses voisins pour gagner toujours plus de terres. Mais l'enjeu est tout autre lorsqu'un propriétaire espagnol, Guillermo Villaseñor nouvellement arrivé dans la région avec ses filles, lui propose un pari insolite qui engage l'avenir des quatre frères. Karel s'élance dans une course décisive avec pour adversaire une jeune fille, Graciela, dont il est tombé amoureux au premier regard.
Pour un premier roman, Bruce Machart fait très fort et le lecteur n’en ressort pas indemne. Dès les premières pages nous sommes happés par un style d’une puissance inouïe. Comme un boxeur qui malmène son adversaire avant de lui décocher un uppercut qui le mettra à terre, Bruce Machart écrit de très longues phrases qui vous essoufflent avant de vous assommer par leur contenu d’une brutalité parfois éprouvante. Brutalité physique ou psychologique. Que ce soit l’enfance de Karel, « ces jours passés harnachés à la charrue avec ses frères », ou bien la scène d’humiliation dans la banque quand Villaseñor vient y déposer son argent. Je pourrais parler de la castration du cheval, de l’incendie de l’écurie…
Mais il y a surtout cette famille dissoute. La mère décédée en couches, le père devenu quasi fou de douleur qui ne connaît plus que la brutalité. L’arrivée de l’étranger qui comme un coin enfoncé dans ce clan, va faire exploser le lien ténu qui liait encore un père et ses quatre fils. Karel qui reste à la ferme avec le père mais ses frères partis bosser pour Villaseñor. La vie continue, chacun de son côté. Combines, trafic d’alcool et des jumeaux encore gamins comme hommes de main, détonateurs d’un incendie rédempteur – au propre comme au figuré – qui posera les bases d’une réconciliation fraternelle au prix de morts et de souffrances.
Le Sillage de l’oubli n’est pas un roman, c’est un tsunami littéraire dévastateur qui broie ses personnages autant que ses lecteurs. Sa lecture n’est pas toujours aisée, le récit n’est pas chronologique et les phrases vous épuisent, mais à l’issue vous avez lu un putain de sacrément bon livre !
« Il reprit les rênes et fit claquer sa langue à l’adresse de sa vieille rosse, une bête qui ne méritait rien d’autre que ces travaux forcés, un seau d’avoine séchée et un jour de plus sur terre, et il fit descendre la planteuse dans le sol. A condition de le vouloir, un homme pouvait semer un quart d’hectare en une heure. A midi, quand Skala trouverait ses fils en train de s’amuser au bord de la rivière et qu’il giflerait l’aîné à toute volée, il aurait même battu ce record : furieux, il retournerait alors vers son champ sans avoir mangé, pousserait son cheval jusqu’à ce qu’il boite et bave d’épuisement, et il pleurerait pour la dernière fois de sa vie. »
Bruce Machart Le Sillage de l’oubli Gallmeister
Traduit de l’américain par Marc Amfreville
2 commentaires
La scène où les enfants tirent la charrue m'a beaucoup marquée. J'en ai lu une semblable dans le roman de Rosa Montero "Le roi transparent", où des enfants tirent aussi la charrue, mais ça se passe au Moyen Age. Ce que Machart écrit est proprement effrayant.
Oui Sandrine, c'est effrayant et tout le roman est d'une puissance inouïe. Un grand moment de lecture.
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