Michel Serres : Petite Poucette
10/08/2013
Michel Serres, né en 1930 à Agen, est un philosophe, historien des sciences et homme de lettres français. À partir de 1969, il est professeur d’histoire des sciences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ainsi qu’à l’Université Stanford depuis 1984. Il a été élu à l’Académie française en 1990 et ce n’est que depuis 2008 que le philosophe s’est engagé dans une voie proprement littéraire. Michel Serres participe aussi chaque dimanche depuis 2004 à la chronique de France Info « le Sens de l'info », une courte intervention hebdomadaire que je vous recommande particulièrement. Petite Poucette, son dernier texte paru, date de l’an dernier.
Le monde change et évolue, c’est une loi naturelle à laquelle il se plie depuis toujours. Depuis quelques dizaines d’années à peine, nous vivons une révolution au moins égale, si ce n’est supérieure, à l’invention de l’écrit et du livre qui bouleverse notre conception du monde et nos vies. Les nouvelles technologies, Internet en tête, font de l’être humain un nouvel Homme qui va devoir apprendre à vivre autrement.
Petite Poucette, « l’héroïne » de cet essai, est la représentante de nos contemporains nés avec ces technologies modernes. Elle doit son nom à l’habileté avec laquelle, en se servant de ses pouces, elle expédie des SMS en rafales, elle est « l’anonyme de la place publique, celui que l’on nommait citoyenne ou citoyen. » Mais ça, c’était autrefois…
Dans ce court essai de quatre-vingt pages, Michel Serres réussit à remettre les pendules à l’heure. Oui, les choses changent, mais il en a toujours été ainsi et à chaque fois l’Humanité a avancé. En analysant objectivement les faits – son âge et son expérience lui permettant de parler en connaissance de cause – le philosophe nous amène à réfléchir sur nos inquiétudes ou nos critiques facilement énoncées par nos esprits grognons mais rarement confirmées par l’Histoire en marche.
Avec Internet, les jeunes n’ont plus à retenir les faits, ils trouvent tout avec Google et leur esprit s’appauvrit ! Mais c’est ainsi depuis que l’écriture existe rétorque Michel Serres ! Avant, il fallait tout mémoriser, certes, mais l’invention du livre a permis déjà, de s’économiser une partie du stockage dans nos cerveaux. Constatation qui amena Montaigne à déclarer, qu’il valait mieux « une tête bien faite, que bien pleine ».
A l’heure d’Internet le Savoir est à la portée de tous, ce qui donne la parole à la multitude et non plus aux spécialistes, experts etc. comme c’était le cas autrefois. Mêmes les politiques n’échappent pas à cette révolution en marche, aube d’une nouvelle démocratie à naître.
A ce constat de fait, Michel Serres proclame que « le seul acte intellectuel authentique c’est l’invention ». A plus de quatre-vingt ans, le philosophe reste un incorrigible optimiste, toujours curieux de tout et de son époque plus qu’un autre. « Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer ». Un message revigorant et plein d’espoir qui fait plaisir à lire.
« Formée dès l’enfance, aux classes élémentaires et préparatoires, la vague de ce que l’on nomme le bavardage, levée en tsunami dans le secondaire, vient d’atteindre le supérieur où les amphis, débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire, d’un brouhaha permanent qui rend pénible toute écoute ou rend inaudible la vieille voix du livre. (…) Pourquoi [Petite Poucette] bavarde-t-elle, parmi le brouhaha de ses bavards camarades ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà. En entier. A disposition. Sous la main. Accessible par le Web, Wikipédia, portable, par n’importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d’erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente. »
Michel Serres Petite Poucette Editions Le Pommier
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