Cavanna : Les yeux plus grands que le ventre
19/08/2013
François Cavanna est un écrivain et dessinateur humoristique français né en 1923 à Paris. Il s'associe avec Georges Bernier et quelques autres pour fonder en 1960 le magazine Hara-Kiri (mensuel), puis en 1969 Hara-Kiri Hebdo qui deviendra ensuite Charlie Hebdo. En 2011 dans son ouvrage Lune de miel, François Cavanna révèle publiquement être atteint de la maladie de Parkinson, qu'il qualifie de « salope infâme ». Paru en 1983, Les yeux plus grands que le ventre achève sa série autobiographique comprenant Les Ritals (1978), Les Russkoffs (1979) et Bête et méchant (1981).
Les autobiographies sont souvent pathétiques. Soit l’auteur cherchera à se montrer sous un jour flatteur, soit il jouera la vérité et révélera des traits de son caractère fatalement humain donc moins glorieux que ce que le mythe pouvait nous laisser espérer. Dans les deux cas, l’homme public qu’on a aimé redescend de son piédestal. C’est un peu le cas avec ce bouquin où Cavanna se livre comme à confesse, un comble pour cet anticlérical. Ceux qui ne l’aiment pas y verront un con, ceux qui lui gardent une place dans leur cœur – comme moi - pour avoir été l’un des mentors de leur jeunesse, lui trouveront des excuses.
Si le récit est parsemé de souvenirs en tout genres (et parfois disparates voire sans ligne directrice très précise) tels ses animaux chiens et chats, ses maisons, un peu de son travail au journal, sa mère… le fil rouge, axe principal du bouquin, ce sont les femmes. Ses femmes. Et là, s’il a beaucoup à écrire, le lecteur pourrait avoir aussi beaucoup à dire sur la « gestion » de sa vie privée. D’un côté il y a Tita et ses cinq enfants avec laquelle il vit maritalement et de l’autre, il y a Gabrielle, beaucoup plus jeune que lui approchant de la soixantaine, un enfant, avec qui il a une relation profonde. Le lecteur l’aura compris, quand Cavanna évoque les yeux plus grands que le ventre, il faut lire, plus gros que le bas-ventre !
La plus grande partie du texte est consacré à ce partage de temps et d’efforts (« je cours de l’une à l’autre, c’est exténuant ») entre ces deux femmes qu’il aime, d’un amour vrai et sincère (« Je vous aime tant ! Une seule me manque, tout est perdu… ») qu’il voudrait le plus honnête possible mais qu’il a bien du mal à conduire, utilisant lâchetés et non-dits pour se maintenir à flots entre les deux femmes. Encore a-t-il bien de la chance que Tita soit relativement bienveillante… Cavanna multiplie les mea culpa mais lui-même n’est pas dupe de la situation, ses relations avec les femmes ne sont guère glorieuses, au point de lâcher un dépité « Si les lecteurs de Charlie-Hebdo savaient ! »
Sinon il y est question aussi de mai 68 auquel il n’a pas participé pour cause d’hémorroïdes, de très belles pages sur son chien Nicolas, de passages très sensuels et humides sur les Femmes qui évoquent les BD de Crumb… On retrouve le style de Cavanna, mélange de poésie en prose et de mots crus et juteux, d’expressions datée et de phrases aux tournures vieillottes qui charment le lecteur plus très jeune lui non plus, d’adresses au lecteur comme s’il était témoin, d’émotions comme savent nous les procurer les écrivains attachés à la terre et au travail manuel. Et le récit s’achevant sur une astucieuse mise en mots de son propre décès inventé, on ne peut imaginer point final plus explicite.
« S’ils le voyaient, le fracassant éditorialiste, champion de toutes les libertés, promoteur de toutes les licences, conchieur de familles, vomisseur de convenances, déchiqueteur de hiérarchies, empaleur de petits jésus, s’ils me voyaient, moi, la grande gueule, moi, le vieux ricanant, le sceptique à tout crin, s’ils me voyaient, jaune de teint et l’œil hagard, vivant cet amour en épais phallocrate d’un autre âge empêtré dans ses contradictions merdeuses, se rongeant le foie, clamant ses bobos à la une, oscillant de Dumas fils à Feydeau, du drame pompier à l’amant en caleçon dans l’armoire avec le pan de chemise qui dépasse, triste zinzin ahuri dans ce siècle tonitruant, hibou effaré dans ce Luna-Park… Oh, qu’ils rigoleraient les sales cons ! »
Cavanna Les yeux plus grands que le ventre Belfond
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