Paula Fox : Le Dieu des cauchemars
27/08/2013
Paula Fox est une romancière américaine née en 1923. Abandonnée par ses parents dès sa naissance, elle est recueillie par un pasteur qui fera son éducation littéraire à travers la poésie française et les grands romans et auteurs internationaux. Elle se marie très jeune et a une fille, mais elle la fait adopter. Plus tard, elle fait des études à l'université Columbia et épouse un critique littéraire, Martin Greenberg. Après avoir vécu à Cuba et au Québec, c’est dans sa ville natale de New York que Paula Fox débute sa carrière dans le monde de la littérature, à l'âge de quarante ans. Elle aiguise d’abord sa plume avec des livres pour enfants, mais aspire à autre chose et publie six romans pendant les années 1960. Il faudra néanmoins attendre les années 1990 et une réédition par l’écrivain et admirateur Jonathan Franzen pour que son œuvre soit reconnue à sa juste valeur. Enfin, information people mais collant bien à la biographie difficile de Paula Fox, sa fille est la mère de la chanteuse Courtney Love.
Datant de 1990, Le Dieu des cauchemars est paru en France en 2004 et je crois bien qu’il était sur ma longue liste des livres à lire depuis cette époque. Heureusement que je note tout dans un carnet sinon cet excellent livre m’aurait échappé.
Le roman débute en 1941 dans l’Etat de New York. Après le décès du père qui a déserté le domicile familial depuis treize ans, la mère expédie sa fille à la Nouvelle-Orléans, demander à sa sœur Lulu de venir vivre avec elle quelques temps. Helen a une vingtaine d’années, un ami auquel elle ne semble pas particulièrement attachée et une vie un peu terne, ce voyage n’est qu’un prétexte dans l’esprit de sa mère, pour lui faire découvrir le monde.
En Louisiane, Helen va faire connaissance avec sa tante Lulu, ex danseuse avec sa mère pour les Ziegfield Follies, devenue alcoolique après une vie dissolue. C’est aussi là qu’elle va découvrir un monde fait d’une faune d’intellectuels bohèmes qui lui était inconnue, Gerald le poète et Catherine, Claude l’homosexuel en costume de lin blanc, Sam ancien époux de Lulu mais aussi Nina qui deviendra son amie et Len son amant. Au sein des cette microsociété, Helen apprendra non sans mal la vie - « Je crois qu’il y a des moments où je comprends ce qui s’est passé. Puis d’autres pas du tout » - en découvrant petit à petit celle des autres et leurs secrets. Néanmoins persiste cette interrogation insidieuse, « Tu ne crois quand même pas que les êtres humains se comprennent les uns les autres ? (…) Ils en sont incapables. »
Quand le roman s’achève, bien des années plus tard, Helen est mariée avec Len devenu avocat et ils ont une fille à la recherche d’un emploi. Une rencontre fortuite avec Nina, son ancienne amie perdue de vue, va lui ouvrir les yeux cruellement sur son innocence qui n’en finira donc jamais ?
Paula Fox décortique merveilleusement la psychologie de ses personnages, leurs illusions et leurs désillusions qui sont aussi les nôtres. Entre Helen qui ne sait pas grand-chose dans beaucoup de domaines, avouant ingénument « Il s’est passé tellement de choses aujourd’hui, que la tête me tourne » et les liens plus ou moins élastiques qui relient tous les acteurs du roman avant de n’être révélés que lentement, l’écrivain excelle dans l’introspection et les sentiments. Pourtant son roman reste bien ancré dans la réalité et sa violence ; au loin en toile de fond, gronde la Seconde Guerre Mondiale et Len attend d’être appelé sous les drapeaux, mais il y a aussi la situation des « gens de couleur » dans l’Amérique de cette époque, ou des Juifs, ou encore les violences policières - le roman s’achève dans les années soixante - avec les manifestations contre la guerre au Viêt-Nam. Paula Fox n’insiste pas lourdement, elle glisse les faits ou les situations tout naturellement mais dans son ton, on sent son désaccord.
L’écriture est fluide et atteint des sommets d’émotion et un souffle puissant quand après le meurtre de Claude et le départ à l’armée de Len, une page se tourne, tout ce qui faisait le monde d’Helen se délite dramatiquement. Par ailleurs, et sans que j’y trouve une explication particulière, le lecteur notera la place importante accordée aux cheveux dans ce roman, tous les personnages sans exception ( ?) ont leur coiffure esquissée, comme un élément essentiel de leur personnalité.
« Le soir, quand il est chez lui, il boit toujours quelque chose avant d’aller se coucher. Il ne dort pas bien. Il boit debout, très solennel, dans la cuisine. Je l’ai vu avec un grand verre rempli d’un liquide trouble comme de la fumée. (…) Quand je lui ai dit qu’il s’agissait peut-être d’un mélange de lait et de sherry, il a relevé les sourcils et plissé les lèvres – je suis certaine qu’il a vu un acteur de cinéma faire cette moue – et il m’a répondu : « Claude, boire du lait ? Tu es folle ! » Enfin, passons. J’ai posé la question à Claude. Et il m’a expliqué que c’était une libation au dieu des cauchemars. »
Paula Fox Le Dieu des cauchemars Editions Joëlle Losfeld
Traduit de l’anglais (américain) par Marie-Hélène Dumas
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