Adriana Lisboa : Bleu corbeau
19/10/2013
Adriana Lisboa est née en 1970 à Rio de Janeiro où elle a passé la majorité de sa vie. Elle a vécu en France et partage aujourd’hui son temps entre le Brésil et les Etats-Unis. Après des études de musique et de littérature, elle devient enseignante puis auteur et traductrice. En 2001, elle publie Des roses rouge vif, roman salué par la critique qui l’élève au rang des auteurs les plus importants de la nouvelle génération littéraire brésilienne. Bleu corbeau vient d’être publié en France.
Après la mort de sa mère Suzana, Evangelina toute jeune fille de treize ans, décide de quitter Rio où elle vit chez Elisa la demi-sœur de sa mère, pour les États-Unis et d’y retrouver son père. En compagnie de Fernando, l’ex-mari de sa mère, et d’un petit voisin salvadorien, Carlos âgé de neuf ans, elle se lance dans une sorte de road movie entre le Colorado et le Nouveau Mexique. Voyage physique mais aussi dans le temps et la mémoire, puisque l’enfant découvrant le passé se construira pour affronter le futur.
Je n’en dis pas plus car toute la beauté du roman tient dans sa construction et son écriture. Construction faite d’ellipses et de non-dits avant que des révélations postérieures ne viennent éclairer le lecteur et le sortir petit à petit de son ignorance voulue par l’auteure. Ecriture ensuite, tout en délicatesse et maîtrise parfaite, un roman joliment écrit, sans excès d’émotions de quelque nature qu’elles soient.
Si les émotions sont bien là et le lecteur les ressentira, l’écrivain ne les transcrit pas noir sur blanc, c’est son talent et la grande réussite de ce livre. Car il est question ici d’un retour sur le passé et l’histoire récente du Brésil, du coup d’état militaire et de la guérilla révolutionnaire qui agitèrent le pays durant une vingtaine d’années entre 1964 et 1985, par le truchement de Fernando, acteur alors, de la lutte résistante ; mais aussi du présent avec cette enfant qui cherche à connaître son père et découvrira sa famille au travers des récits des uns et des autres. Adriana Lisboa nous épargne les larmes ou les scènes pénibles, tout n’est que suggéré et nous sommes assez adultes pour lire entre les lignes, mettre des images sur ce qui n’est pas expressément dit.
Evangelina est la narratrice, ce qui autorise l’écrivain à utiliser un ton léger fait d’humour doux et de fausse naïveté pour dire des choses graves. La petite s’interroge et pose des questions mais sans jamais insister, philosophe malgré son jeune âge, « Après tout, quand les gens ne me fournissaient pas les détails, j’avais le droit moral de me les fournir moi-même ». Evangelina n’a pas de préjugés, les gens sont ce qu’ils sont, d’où qu’ils viennent et elle les prend ainsi. Adriana Lisboa aborde aussi le sujet du déracinement et de l’émigration, Evangelina son héroïne a deux nationalités, parle anglais à l’école, portugais à la maison et espagnol avec les voisins, quant à Carlos le salvadorien, il peine à parler anglais.
Un très beau roman, tout en finesse et subtile écriture. Un de ces romans comme je les aime, où l’auteur ne cherche pas à éblouir son lecteur avec une histoire extraordinaire ou un style se vantant d’être innovant, un de ces livres qu’on referme en se disant, quel beau et bon moment de lecture.
« Je suis allé habiter chez Elisa, la demi-sœur de ma mère. Elle, elle a compris. Elle a été la seule. Elisa me laissa maigrir autant que je voulais, dormir autant que je voulais et avoir des insomnies autant que je voulais. Elisa me laissa ne pas parler autant que je voulais. Et elle me laissa fêter l’anniversaire de mes treize ans avec nos voisins octogénaires, puis apporter une part de gâteau au mendiant de la rue Duvivier et à son chien. Je m’accroupis à côté d’eux et remarquai que le mendiant avait les yeux marrons, et le chien, les yeux verts, et que dans leurs yeux à tous les deux il y avait des choses que je n’avais jamais lues dans aucune encyclopédie. »
Adriana Lisboa Bleu corbeau Editions Métailié
Traduit du brésilien par Béatrice de Chavagnac
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