Henry Roth : A la merci d’un courant violent
03/11/2013
Henry Roth (1906-1995) est un écrivain américain. Né en Europe centrale, il émigre vers les États-Unis à l'âge de trois ans avec sa famille et passe son enfance au sein de la communauté juive de New York. Son premier roman, L'Or de la terre promise, publié en 1934 passe inaperçu. Henry Roth laisse alors de côté ses ambitions littéraires et épouse, en 1939, Muriel Parker, fille d'un pasteur baptiste et pianiste qui renoncera à sa carrière pour l'accompagner dans l'État du Maine où il exerce plusieurs métiers (garde forestier, infirmier dans un hôpital psychiatrique, aide plombier…). Henry Roth sombre dans une dépression chronique. C'est en 1964, soit trente ans après, que L'Or de la terre promise est réédité et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Ce succès inattendu convainc l'auteur de se remettre à écrire. En 1994, soixante ans après la publication de son premier roman, A la merci d'un courant violent sort en librairie.
Le livre sous-titré, Une étoile brille sur Mount Morris Park, est le premier volume d’une autobiographie en cinq parties, Un rocher sur l’Hudson, La Fin de l’exil, Requiem pour Harlem et enfin Un Américain, un vrai qui vient tout juste de sortir en librairie. Initialement prévue en six tomes, l’œuvre d’Henry Roth restera inachevée.
Dans le bouquin, Henry Roth endosse le rôle d’Ira Stigman, huit ans, un petit juif né dans les premières années du XXe siècle et tout juste immigré à New York avec son père (Pa) homme violent au mauvais caractère et pas doué pour les affaires, et sa mère (Ma) une femme douce prête à tout excuser. Après avoir vécu quelques temps dans le Lower East Side, en 1914 ils déménagent vers Harlem alors quartier Irlandais. Nous suivrons donc le jeune Ira entre sa huitième année et ses quatorze ans quand le livre se referme.
Parcourt initiatique pour ce gamin devant apprendre à être Juif dans un monde qui ne vous aime guère, tiraillé entre son éducation familiale orthodoxe et ce monde extérieur moins pesant, au point de peiner à retenir ce cri de haine lors de sa bar-mitsva « Devenir un Juif, devenir un homme, un membre de la communauté n’était qu’une sinistre plaisanterie, et devint un sinistre souvenir ». C’est aussi au cours de ces années qu’il rencontrera la littérature et se mettra à fréquenter les bibliothèques, fasciné par le Huckleberry Finn de Mark Twain il subodore le pouvoir mystérieux des livres, sans pouvoir se l’expliquer encore. Quand s’achèvera le roman, nous sommes en 1920, Ira quatorze ans, a découvert qu’il pouvait être accepté par des non Juifs comme son ami Farley Hewin ou le personnel de l’épicerie de luxe où il travaille en dehors de ses cours au collège pour rapporter un peu d’argent à la maison. Mais il aura aussi été confronté au sexe avilissant, tripoté par un inconnu dans un parc de la ville et un professeur au collège…
Henry Roth met sa vie par écrit en utilisant plusieurs formes narratives. Caché derrière Ira qui se raconte, ou encore parlant de lui-même enfant à la troisième personne, tout en incluant de courts paragraphes où, mise en abîme, l’écrivain se cite à quatre-vingt ans perclus de rhumatismes devant le clavier de son ordinateur, ou bien en courts dialogues avec Ecclesias comme un homme devant son Dieu aux portes du monde des morts.
Le bouquin est aussi cette suite de scènes familières aux lecteurs de romans traitant de l’exil des Juifs en Amérique à cette époque, familles nombreuses, jactance et bagout, propos émaillés de termes yiddish (glossaire en fin d’ouvrage), conflits et bagarres entre Juifs et Irlandais, les petits boulots pour survivre, etc. Selon qu’on lira ce bouquin avec un bout ou l’autre de sa lorgnette, on y verra une part de la fresque historique des Etats-Unis ou bien une tranche de la vie d’un gamin à l’aube de son existence.
Ce que ce livre ne dit pas encore mais que ma curiosité m’a poussé à découvrir, c’est que le volume suivant, Un rocher sur l’Hudson, révèlera un très lourd secret dans la vie d’Henry Roth… à suivre donc !
« Si seulement les hommes savaient. Mais on n’allait nulle part, on n’aboutissait nulle part ; c’est seulement à la fin de la vie qu’il en paraissait ainsi : un rêve hanté. Jusque-là, c’était tout sauf un rêve hanté. C’était la réalité pressante de Longfellow. Et même ces élancements, ces tiraillements, ces douleurs, hélas, étaient réels. Son regard se détourna du clavier pour se poser sur la pile décourageante de manuscrits rangés dans des enveloppes distinctes de papier bulle. Haute de près de trente centimètres. Vivrait-il assez longtemps pour transcrire toute cette prose sur disquettes ? Il en doutait. »
Henry Roth A la merci d’un courant violent Editions de l’Olivier
Traduit de l’américain par Michel Lederer
2 commentaires
Josephn Philip, Henry : une grande famille d'écrivains :-) Je n'ai malheureusement pas encore lu Henry Roth, et à l'évidence, c'est un tort...
Sandrine, j’ai bien compris l’humour dissimulé derrière le mot « famille » mais pour nos lecteurs moins informés, précisons que tous ces Roth n’ont à priori par de liens familiaux directs ou alors en étendant ces liens assez loin ce qui serait alors possible puisqu’ils sont tous originaires de familles venant de Galicie (entre Pologne et Ukraine). D’un point de vue littéraire, je ne connais que Philip et Henry et si bien entendu on y voit des similitudes de situations (exil, juifs) leurs œuvres ne me semblent pas comparables. Je découvre aujourd’hui Henry, il est intéressant et je vais poursuivre ma découverte mais il me paraît bien inférieur à Philip, me semble-t-il ?
Les commentaires sont fermés.