Dai Sijie : Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
07/12/2013
Dai Sijie est un cinéaste et romancier chinois né en 1954 à Putian dans la province côtière du Fujian, située au sud-est de la Chine. Pendant la révolution culturelle (de 1966 à 1976), ses parents, médecins dits « bourgeois réactionnaires », sont mis en prison et lui-même est envoyé en 1971, pour trois ans, dans un camp de rééducation dans un village très difficile d'accès dans les montagnes de la province du Sichuan. À la mort de Mao, en 1976, il entre à l'université de Pékin pour y prendre des cours sur l'histoire de l'art chinois. Il reçoit sur concours une bourse pour partir à l'étranger et il choisit d’aller étudier en France à l'Institut des hautes études cinématographiques, pays où finalement il s’installera définitivement en 1984. Il est principalement connu pour ses romans Le Complexe de Di qui reçut le prix Femina en 2003 et Balzac et la Petite Tailleuse chinoise son premier roman paru en 2000. Il est à noter qu’une adaptation cinématographique réalisée par Dai Sijie lui-même, également intitulée Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, est sortie en 2002.
Le roman se passe en Chine, durant la Révolution culturelle initiée par Mao. Nous sommes au début des années 1970, les jeunes à peine sortis des écoles et considérés comme des intellectuels, sont exilés de force dans les campagnes au titre de la « rééducation ». Le narrateur et son ami d’enfance Luo, 17 et 18 ans, se retrouvent dans la montagne du Phénix du Ciel dans la province du Sichuan, dans un petit village de paysans où leurs sont attribuées des tâches subalternes et épuisantes. Une rencontre fortuite avec la fille d’un tailleur réputé, habitant un village voisin, va modifier le cours de leur vie. Tous deux tombent amoureux de la jeune fille, la Petite Tailleuse, mais c’est Luo qui devient son amant, le narrateur beau joueur se contentant de rester leur ami fidèle et de garder leur secret qui pourrait leur coûter très cher s’il venait à être découvert. Par ailleurs, pour les récompenser d’un service rendu, un jeune garçon – Le Binoclard - lui aussi en rééducation, leur offre un roman de Balzac, Ursule Mirouët. Eux qui sont privés de livres depuis si longtemps, objets interdits par la Révolution culturelle, sont fascinés et subjugués par leur lecture. Désormais ils mettront tout en œuvre pour voler la valise du Binoclard où sont cachés d’autres romans des grands écrivains classiques (Balzac, Flaubert, Gogol, Melville, Romain Rolland…) et Luo se promet de les utiliser pour instruire la Petite Tailleuse et la sortir de sa condition misérable. Ce but, noble et généreux, aura pourtant des conséquences imprévues…
Bien que le roman ait pour toile de fond, une période historique particulièrement dramatique dont l’auteur a subi les conséquences, il est écrit sur un ton très léger et aérien, extrêmement agréable à lire, emprunt de cette sensibilité toute asiatique qui plonge immédiatement le lecteur dans cette Chine profonde où se déroule le roman. Seules quelques rares tournures de phrases anachroniques qui tranchent avec le reste du texte, très françaises ( ?), apportent une pointe de drôlerie, comme ce, « Ne me fais pas perdre mon temps avec ton baratin à la con ! dit le chef. »
Sur une intrigue simple et légère, la découverte de l’amour par de jeunes gens, Dai Sijie ne se prive pas de truffer son récit de références à la situation en Chine sous Mao et des conditions d’existence du peuple alors. L’humiliation subie par les intellectuels, le pouvoir exorbitant donné à d’ignares chefs de villages etc. Et bien entendu, le roman est une réflexion sur le pouvoir des livres qui nous ouvrent des portes sur le monde en nous en offrant une vision différente. Un excellent roman.
« Nous nous approchâmes de la valise. Elle était ficelée par une grosse corde de paille tressée, nouée en croix. Nous la débarrassâmes de ses liens, et l’ouvrîmes silencieusement. A l’intérieur, des piles de livres s’illuminèrent sous notre torche électrique ; les grands écrivains occidentaux nous accueillirent à bras ouverts : à leur tête, se tenait notre vieil ami Balzac, avec cinq ou six romans, suivi de Victor Hugo, Stendhal (…) Quel éblouissement ! J’avais l’impression de m’évanouir dans les brumes de l’ivresse. Je sortis les romans un par un de la valise, les ouvris, contemplai les portraits des auteurs, et les passai à Luo. De les toucher du bout des doigts, il me semblait que mes mains, devenues pâles, étaient en contact avec des vies humaines. »
Dai Sijie Balzac et la Petite Tailleuse chinoise Gallimard
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