Henry Roth : Un Américain, un vrai
04/03/2014
Henry Roth (1906-1995) est un écrivain américain. Né en Europe centrale, il émigre vers les États-Unis à l'âge de trois ans avec sa famille et passe son enfance au sein de la communauté juive de New York. Son premier roman, L'Or de la terre promise, publié en 1934 passe inaperçu. Henry Roth laisse alors de côté ses ambitions littéraires et épouse, en 1939, Muriel Parker, fille d'un pasteur baptiste et pianiste qui renoncera à sa carrière pour l'accompagner dans l'État du Maine où il exerce plusieurs métiers (garde forestier, infirmier dans un hôpital psychiatrique, aide plombier…). Henry Roth sombre dans une dépression chronique. C'est en 1964, soit trente ans après, que L'Or de la terre promise est réédité et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Ce succès inattendu convainc l'auteur de se remettre à écrire. En 1994, soixante ans après la publication de son premier roman, A la merci d'un courant violent sort en librairie, premier volume d’une autobiographie qui en comprendra cinq, Un rocher sur l’Hudson (1995), La Fin de l’exil (1998), Requiem pour Harlem (2000) et enfin Un Américain, un vrai en 2013. Initialement prévue en six tomes, l’œuvre d’Henry Roth restera inachevée.
Nous retrouvons donc Ira Stigman, cet alias de Roth, en 1938 à New York où il affronte un nouveau tourment, une panne d’inspiration qui l’empêche d’écrire son second roman. Côté vie sentimentale, il est toujours officiellement avec Edith laquelle a un riche amant qui paye les factures du trio mais bien vite il va tomber amoureux de M (Muriel Parker), prise pour une lesbienne lors de sa première rencontre. Elle est musicienne, pianiste, issue d’une famille aisée et à priori tout l’opposé d’Ira. En quête d’indépendance financière, Ira se résout à tenter sa chance à Los Angeles dans l’écriture de scénarios pour le cinéma, voyage effectué avec son ami Billy, communiste révolutionnaire. La côte Ouest n’est guère plus souriante, Ira revient donc à New York en stop et en train de marchandises. Finalement, Ira épousera M et ils vivront ensemble durant cinquante ans, jusqu’au décès de celle-ci en 1990.
Comme lors des précédents épisodes, l’écrivain alternent les époques, le présent avec un Henry Roth veuf, salement handicapé par l’arthrite, retiré à Albuquerque et le passé avec Ira Stigman son héros, vivant à New York. Ira toujours paralysé par les doutes, incapable de prendre des décisions tranchées, tant pour trouver des moyens de subsistance que pour gérer sa vie amoureuse, ici quitter Edith et s’engager avec M ou encore continuer dans la littérature ou se contenter de textes pour les journaux ou de scénarios pour le cinéma. Henry Roth persiste à nous dépeindre Ira, son double, avec un manque de vergogne qui met le lecteur mal à l’aise, mais néanmoins avec assez de talent pour le retenir, fasciné par les péripéties vécues par ce personnage jamais vraiment sympathique.
Ce dernier roman s’avère par contre beaucoup moins sordide que certains volets précédents qui avaient pu déplaire, j’imagine, à certains lecteurs. Mais comme il a été publié, bien après le décès de l’écrivain, on peut s’interroger sur le rôle joué par l’éditeur… On s’intéressera à ce roman, car il nous montre aussi un Ira lancé dans un road trip à travers les Etats-Unis avec retour sur Manhattan en compagnie de hobos dans les trains, complètement anachronique pour le lecteur qui s’imaginait le héros, figure urbaine exclusivement. On mentionnera aussi des passages où Ira et Irène s’affrontent sur le rôle de l’écrivain ou encore lorsque Roth met le lecteur dans la tête d’Ira tentant d’écrire une nouvelle à partir d’un incident de la circulation – tous ceux qui ont tenté l’aventure de l’écriture en savoureront la véracité.
Et enfin, autre bonne raison pour lire ce roman, c’est cette histoire d’amour entre Henry Roth (Ira) et Muriel Parker (M) qui sur la forme est à mille lieues des romans roses de gare, mais terriblement touchante quand on lit entre les lignes, puisque Muriel Parker sacrifiera sa vie professionnelle de musicienne pour se consacrer (se dévouer) à Henry Roth et l’aider tout au long de sa vie, à surmonter ses doutes et vaincre ses névroses, pour en faire peut-être, un Américain, un vrai ? En tout cas très certainement, un écrivain, un vrai !
« Il était sans cesse écartelé entre des désirs contradictoires. Ayant publié un roman, il voulait d’abord et avant tout en écrire un autre. Seulement, faute d’être indépendant sur le plan économique, il n’avait pas les moyens de s’atteler à une longue œuvre ainsi qu’il aurait pu le faire grâce à la générosité d’Edith. Cette source était tarie, sauf s’il se reniait et renonçait à son désir d’acquérir une autonomie d’adulte. Il n’y avait en outre aucune garantie, ni aucun signe, qu’un retour à la situation antérieure, au ménage à trois qu’ils formaient avec Dalton, produirait de meilleurs résultats que ceux obtenus au cours des quatre années qui s’étaient écoulées depuis qu’il avait fini son roman. Ce qui amenait la question de la subsistance, de la recherche d’un boulot. Or, un boulot l’empêcherait sans nul doute d’écrire… »
Henry Roth Un Américain, un vrai Editions de l’Olivier - 283 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Lederer
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