Doug Peacock : Mes années grizzly
07/03/2014
Doug Peacock est né en 1942 dans le Michigan. Son passage chez les Bérets verts durant la guerre du Vietnam le marque à tout jamais. De retour en Amérique, il consacre plusieurs années à l’observation des grizzlys dont il est à ce jour l’un des plus grands spécialistes au monde et à l’exploration des déserts de l’Ouest. Il est depuis devenu une personnalité légendaire du combat écologiste et vit à Livingston, dans le Montana. Mes années grizzly date de 1987 avec une première parution en France en 1997.
Comme son titre l’indique, le bouquin est consacré aux grizzlys, l’ours emblématique des Etats-Unis. Tout au long de ces quatre-cents pages nous suivons Doug Peacock dans ces crapahutages à travers l’Amérique sur les traces de l’ursidé. Principalement dans le Yellowstone, le fameux parc national au nord-ouest du Wyoming et surtout à la recherche du « Griz de Bitter Creek – le grizzly de Yellowstone que je préfère » à la démarche particulière et caractéristique, le pied tourné vers l’intérieur. On en apprend beaucoup sur les mœurs de l’animal, ses conditions de vie ainsi, et c’est le but de cet ouvrage, que ce qu’il doit endurer pour survivre au milieu d’une nature sauvage qui rétrécit comme peau de chagrin, sillonnée par les randonneurs, survolée par les avions, mise en pièce par les compagnies de forage.
Manifeste à la gloire de l’ours dont il a fait son totem, Peacock fait de l’animal le symbole de la résistance pour la sauvegarde de la Nature à l’état sauvage et par là, de la liberté. Les critiques pleuvent, l’Administration et le grand capital en prennent pour leur grade, ce qui n’étonne pas venant de cet anarchiste sabotant les puits de forage ou détruisant une cabine téléphonique quand une standardiste finit par lui taper sur les nerfs. On comprend vite qu’il ne faut pas trop énerver ce Rambo au bout du rouleau, par ailleurs grand copain d’Edward Abbey (Le Gang de la clé à molette) ce qui en dit beaucoup...
Mais à la vérité, ce bouquin n’est pas consacré au grizzly exclusivement, au cœur de ces récits, entre les lignes parfois, apparaît le portrait d’un autre ours, Doug Peacock lui-même, fréquentant peu les humains, leur préférant la solitude des grands espaces, sac de couchage et canne à pêche sous le bras. L’évolution est frappante au fil de la lecture. Au début, les scènes de randonnée dans l’Ouest sont ponctuées des souvenirs cauchemardesques du Vietnam, mettant en parallèle expédition dans la nature et guérilla dans la jungle. Puis quand les traces du traumatisme s’estomperont timidement, une certaine Lisa sera mentionnée de-ci de-là, ensuite viendra le temps de la paternité avant que le mariage ne batte de l’aile. Le cycle de la vie reprend, au terme de ce récit relatant une véritable psychanalyse pour l’auteur.
Un troisième niveau de lecture se dégage de cet ouvrage à mon sens. Outre l’ours et l’auteur, il nous permet à nous européens, de mieux appréhender à travers des remarques distillées au long du texte, l’esprit d’une certaine Amérique, celle de ces hommes et de ces femmes dont l’horizon est fait de plaines et montagnes sauvages, où croiser un loup comme un ours est le quotidien ou presque et pour qui la notion de liberté individuelle n’est guère éloignée de celle des pionniers, leurs ancêtres proches. Toutes choses enfouies bien profond, voire oubliées, dans les gènes de nos compatriotes sur le Vieux Continent. Je n’en tire aucun jugement de valeur, ce n’est pas mon propos ici, mais ce livre nous facilite l’accès aux raisonnements de certains Américains.
L’éditeur ne nous donne aucune explication sur la genèse de cet ouvrage et c’est bien dommage car elle pourrait excuser certaines de ses faiblesses. A priori, série de récits tirés du journal de l’écrivain se déroulant sur plusieurs années, on regrettera les répétitions et une construction mal élaborée laissant un sentiment d’éparpillement. Par conséquence le bouquin paraît un peu long parfois alors qu’il aurait tant gagné à être plus ramassé.
« Au début, je m’isolais dans ces coins sauvages pour me ressaisir et reprendre ma vie en main. Mais il m’est très vite apparu qu’il n’existait pas d’endroit où se cacher. Toute vision d’un grizzly comme un paradis, séparé par un mur d’un monde perturbé, n’était qu’une déformation de la vérité. Tous mes voyages n’avaient pas une importance primordiale et aucun n’était idyllique. Si certains moments étaient placés sous le signe d’une beauté sauvage, les intrusions de la civilisation – le bruit d’un avion dans le lointain ou quelque trace de déchets humains – étaient quotidiennes. Je n’aurais pas dû prêter attention à ces choses-là, mais j’étais conscient qu’elles me gâchaient la vie et influençaient mon comportement. »
Doug Peacock Mes années grizzly Gallmeister collection Totem – 396 pages –
Traduit de l’américain par Josiane Deschamps
2 commentaires
Je l'ai lu (forcément, il y a Abbey en filigrane, pour moi), il me semble juste avoir été parfois agacée par le style (ou ça vient du traducteur?). Un indispensable, tout de même...
Je ne dirais pas le style, l’écriture est nerveuse et directe, mais c’est la construction globale qui pour moi, pénalise l’ouvrage et diminue la bonne note qu’à priori je pouvais lui attribuer.
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