Hiromi Kawakami : Manazuru
02/06/2014
Hiromi Kawakami née en 1958 est une romancière japonaise née à Tokyo. Elle est diplômée de l'université pour femmes d'Ochanomizu. Depuis ses débuts en 1994, elle est définitivement devenue l'un des écrivains les plus populaires au Japon, et l'un de ceux qui parviennent à offrir leurs histoires en Occident. En 2000, elle reçut le Prix Tanizaki pour son roman Les Années douces. C’est en 2009 qu’est paru en France, Manazuru.
Kei vit avec Momo, sa fille adolescente, et sa mère. Rei, son mari, a disparu depuis douze ans, parti on sait où, personne ne le sait, mort peut-être. Deux ans plus tard, Seiji est devenu l’amant de Kei. Lorsque Kei découvre le journal intime de son mari et y lit à plusieurs reprises ses passages à Manazuru, petite ville du bord de mer, elle décide de s’y rendre.
J’avais beaucoup aimé La Brocante Nakano, un précédent roman d’Hiromi Kawakami. Légèreté de l’écriture, finesse des sentiments, ellipses aériennes mais une histoire claire. Ici, je suis nettement moins emballé. Certes l’écriture est toujours aussi délicate, les descriptions rapides de petits gestes de la vie quotidienne sont particulièrement réussies, finesse du trait à l’encre de Chine. Mais le roman repose sur une large part de mystère jamais éclairci qui, d’un côté rend le texte délicieusement éthéré et d’un autre carrément ésotérique.
Télévision qui s’allume toute seule, présence invisible qui suit Kei puis, petit à petit se révèle être une femme inconnue, telle un fantôme à moins que ce ne soit le moi-intérieur de l’héroïne ? Les rapports entre Kei et sa fille ou sa mère sont proches ou lointains, de même avec son amant au fil du temps qui passe. La narration semble nous parvenir à travers un voile de tulle, comme une photo de David Hamilton, douceur estompée des scènes. Les multiples excursions de Kei à Manazuru sont prétextes à retrouver la trace du mari envolé. Recherches par la pensée ou le rêve puisqu’elle lui parle et qu’il lui répond, à moins que ce ne soit le fantôme féminin qui la suit qui n’intervienne dans la conversation, « Tout existe dans l’esprit. Tout ce qu’on a vu de ses propres yeux depuis qu’on est au monde, tout, y compris ce qu’on croit avoir oublié depuis longtemps, existe à l’état pur dans la conscience. »
Réflexion sur l’amour et ses pouvoirs mais avec une approche toute orientale de la question et une mise en abîme puisque Kei écrit un roman, celui que nous lisons peut-être ? « La tonalité du récit, sa densité… oui, c’est un livre plein de mystère. (…) Le récit est censé être limpide et innocent, pourtant, on ne voit pas où il mène. Et dans l’ombre de certains passages, on découvre quelque chose ! » Les plus heureux feront cette découverte, les autres resteront sur le bord du chemin.
« Se retrouver à trois sur une photo, ça ne doit pas porter chance, non ? Kei, s’il te plaît, va chercher une petite poupée, tiens, celle qui est dans l’entrée, qui vient de l’atelier de verrerie. Tu peux la garder cachée dans ta main, si tu veux, mais on va la prendre en photo avec nous. J’ai couru dans l’entrée, j’ai saisi la petite figurine de verre. Ma paume a eu comme un frisson. Quand la photo a été développée, cette photo qui nous montrait tous les trois dissimulait en réalité un quatrième visage. Ce visage invisible a fait naître en moi une émotion. Nous étions trois, non, quatre. Mais non, trois ! »
Hiromi Kawakami Manazuru Editions Philippe Picquier - 230 pages –
Traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu
2 commentaires
Je note La brocante de Nakano, merci !
Honnêtement je pense que c'est un très bon roman, très fin et très sensible. Bonne lecture !
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