Philippe Djian : Chéri-Chéri
12/10/2014
Philippe Djian est un romancier français né le 3 juin 1949 à Paris. Il a longtemps été présenté comme un héritier de la Beat Generation en France. Il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué. Son tout nouveau roman, Chéri-Chéri, vient de paraître.
Denis, la quarantaine, est écrivain fauché le jour, mais quand vient la nuit, il est Denise, danseuse dans un club, pour arrondir ses fins de mois. Quand ses beaux-parents viennent s'installer au-dessous de chez lui, rien ne va plus et je vous laisse le découvrir. Paul, son beau-père aux activités douteuses, n’est pas franchement un fana du travestissement et il lui a trouvé un emploi pas banal qui devrait l'endurcir. Chaque semaine, assorti d'un certain Robert, l'écrivain devra réclamer de façon musclée leurs impayés aux débiteurs de son beau-père. Contre toute attente, le job lui convient bien et Robert lui inspire le sujet d'un livre, qui pour la première fois fait un tabac en librairie.
Enfin ! Enfin un bon roman de Philippe Djian. Je n’y croyais plus. Après un départ tonitruant dans la littérature française au début des années 80, l’écrivain prisonnier de ses recherches sur le style, négligeait ses intrigues et chaque bouquin pondu me devenait une souffrance. Certes, ses dernières productions et « Oh… » en particulier montraient des signes d’espoir mais je ne m’attendais pas à cette embellie.
L’histoire se tient, en tout cas elle ne tombe pas dans les exagérations extravagantes du passé, les scènes de sexe se cantonnent au minimum et ne sombrent pas dans le ridicule, bref tous les excès qui me poussaient à délaisser l’écrivain sont oubliés. Dans ce roman du moins. Même l’univers récurrents des ouvrages précédents évolue, les décors sont moins systématiques, certes il y a encore des flocons de neige et l’époque de Noël, mais si peu.
L’écrivain aborde deux thèmes, le travestissement qu’il dissocie de l’homosexualité, « …apparaître en femme (…) me procure un trouble plaisir, un plaisir profond, irremplaçable, mais je ne suis pas passé de l’autre côté pour autant » et le travail de l’écrivain. Ce second angle est dilué dans le texte proprement dit, sous forme de réflexions qu’on peut supposer propres à Djian lui-même, « on m’interrogeait sur cette nouvelle manie de supprimer la majeure partie de la ponctuation ou sur mon obsession pour les dialogues ou cet étrange mélange des temps », et il est vrai qu’ici, la ponctuation se résume à des points et des virgules, les dialogues s’exonérant de tirets ou guillemets pour s’insérer dans le texte.
Philippe Djian a un style bien à lui, qui ne saute pas aux yeux immédiatement mais se dévoile au fil des pages. Des phrases courtes en général et les rares fois où ce n’est pas le cas, elles font leur effet. Des descriptions précises, des détails pratiques pointus comme les accessoires nécessaires au maquillage, la citation de marques commerciales. J’ai crû déceler des références cinématographiques américaines (Denis et Paul, m’évoquant une version détournée en plus dure, de Robert de Niro et Ben Stiller dans Mon beau-père et moi) et une ou deux pointes d’humour comme ce « …il m’empoigne par le col de mon anorak – modèle Houellebecq 2010 vert olive – et m’ordonne de démarrer. »
J’avais eu la dent dure avec Philippe Djian lors de mes chroniques antérieures, tant j’étais déçu par ce qu’il était devenu, aujourd’hui j’essaie de calmer mon enthousiasme mais je suis heureux de le retrouver avec ce bon roman.
« Mais j’ai l’habitude. Lorsque j’écris, je me heurte souvent à des portes closes, je suis rodé à leur obstacle, je dois les enfoncer les unes après les autres et c’est loin d’être un jeu d’enfant, on ne les renverse qu’au terme d’un minutieux travail, qu’en retour de multiples et redoublés efforts – sans savoir s’ils seront récompensés et les forces d’un homme ne sont pas inépuisables, sa résilience, avec le temps, s’effrite, l’amertume le guette, etc. Cela explique le côté ravagé, maladif, la mine d’endive cuite qui affectent tant de bons écrivains – les autres sont plutôt bronzés, bien nourris, mais les bons paient le prix fort, les bons marchent au riz complet, au pain bis, au ginseng et à la gelée royale pour se donner des forces, quand ils le peuvent, quand les à-valoir sont au minimum décents et la foule des imbéciles et des nuisibles relativement réduite au silence – ce qui permet une ou deux ventes. »
Philippe Djian Chéri-Chéri Gallimard – 194 pages -
4 commentaires
Ô joie ! Ô bonheur…
Je n'ai pas l'espoir de retrouver le grand frisson initial — Maudit manège, Echine —, mais bon, relire un bon Djian c'est un peu comme se laisser bluffer une nouvelle fois par Jagger au Stade de France l'été dernier… Les petits jeunes n'ont qu'à bien se tenir !
Merci pour cette chronique !
Vous m’avez bien lu, il n’est pas question de « retrouver le grand frisson initial » mais de pouvoir lire un bouquin de Djian sans ses outrances ridicules et avec un scénario possédant un minimum de tenue. Depuis des années il travaille son style, c’est bien, mais ça n’est pas suffisant pour faire un bouquin…
Un billet qui me donne envie de relire Djian, que je ne lisais plus pour des raisons analogues aux vôtres.
Oui, je crois que vous pouvez tenter le coup avec celui-ci. Comme je le disais dans un commentaire précédent, nous sommes loin du grand Djian des débuts mais ce Chéri-Chéri vaut le détour !
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