Ian Rankin : L’Appel des morts
15/10/2014
Ian Rankin OBE, né en 1960 à Cardenden, village minier à quelques dizaines de kilomètres au nord d’Edinbourg, est un auteur écossais de romans policiers, de nouvelles, de romans d'espionnage et de critiques littéraires. A l'Université d'Edimbourg il étudie la langue et la littérature anglaise, et obtient en 1982 son Master of Arts, spécialité littérature américaine. Entre 1982 et 1986, il travaille à sa thèse de doctorat sur la fiction moderne écossaise, tout en s'investissant de plus en plus dans sa propre écriture. Après l'université, et avant son succès comme romancier, Rankin exerça un certain nombre de métiers, comme vendangeur, porcher, percepteur, chercheur en alcoologie, journaliste hi-fi, secrétaire de collège et musicien punk. S’il a publié trois ouvrages sous le pseudonyme de Jack Harvey, Ian Rankin est surtout connu pour ses (18) polars ayant l’inspecteur Rebus comme héros, dont L’Appel des morts, paru en France en 2009.
A huit jours du sommet du G8 de juillet 2005, Edimbourg est en état de siège. Des forces de police considérables sont déployées pour contenir les milliers de manifestants attendus. On prévoit aussi des troubles à l’occasion du concert Live 8. Lors d’un dîner de personnalités politiques au château d’Edimbourg, un député, qui est aussi le bras droit du ministre des Affaires étrangères, tombe des remparts. Accident, suicide, meurtre ? Quoi qu’il en soit, la Special Branch, qui entend régner sur les lieux, entrave le travail de la police pour étouffer l’affaire, le G8 devant être une réussite. Bien entendu, l’inspecteur Rebus ne l’entend pas de cette oreille. Parallèlement, trois meurtres viennent d’être commis, dont les victimes sont des violeurs condamnés, mais récemment sortis de prison. Rebus et sa collègue Siobhan mènent l’enquête ensemble, bien qu’on leur demande de la mettre entre parenthèses le temps du sommet.
Que voilà un bon polar ! Je ne connaissais pas Rebus, aussi ne puis-je comparer cette enquête à ses autres aventures, toujours est-il que je referme ce bouquin très satisfait. Si l’inspecteur, à l’approche de la retraite, est assez classique dans le genre bourru, dur et porté sur le whisky, amateur de rock des années 60/70 et pas très respectueux de la hiérarchie, il a tout pour plaire au lecteur. Epaulé par sa jeune collègue Siobhan, ils forment un tandem sympathique, travaillant à leur manière et contre les ordres supérieurs pour faire triompher la justice. Vous me direz avoir déjà vu ça ailleurs, certes, mais l’amateur de polars aime justement cela ! Des repères de base avant d’en venir à l’intrigue proprement dite.
Et là, nous sommes servis. Le roman est dense, les intrigues multiples avec un député passant par-dessus le parapet d’un château, trois cadavres présentant les caractéristiques d’un tueur en série, la mère de Siobhan blessée lors d’une manifestation et dont on cherchera l’agresseur, un politicien local et un caïd du milieu qui jouent leurs cartes dans la confusion générale, un éventuel trafic d’armes international impliquant un gros industriel sur fond de G8 et de contremanifestations… Et si tout semble s’intriquer, l’épilogue révèlera que de fausses pistes sont venues brouiller un paysage déjà obscurci par un nuage de fumée volontairement répandu par le criminel.
J’ai dit que le roman était dense, il est aussi épais, mais jamais on ne s’ennuie, non pas que le rythme soit endiablé mais parce que Ian Rankin oblige le lecteur à rester attentif par des ellipses, des personnages nombreux, un sac de nœuds et d’embrouilles dans les enquêtes mêlées. Aucune page n’est en trop, impossible d’en lire une seule en travers – comme c’est souvent le cas, même chez les meilleurs de ce genre de roman – et cette attention soutenue par l’obligation, procure un vif plaisir de lecture.
Me voilà condamné à lire toute la série des enquêtes de Rebus… mais où vais-je trouver le temps de caser tous ces bouquins dans mon planning prévisionnel ?
« Le docteur Gilreagh leur avait dit de se méfier des faux semblants et elle avait eu raison. L’affaire toute entière n’était pratiquement composée que de trucs de magicien destinés à détourner l’attention. Rebus s’assit sur une table de travail. Elle ne protesta que d’un faible grincement. Il balança légèrement les jambes, ses pieds ne touchant pas le plancher. Ses paumes reposaient sur le plateau de chaque côté de lui. Il se pencha légèrement, regarda ce qui était écrit sur le mur, les flèches, les soulignements, les points d’interrogation. Il commença à entrevoir le moyen de résoudre ces quelques questions. Il commença à voir l’ensemble, ce que le meurtrier s’était efforcé de déguiser. »
Ian Rankin L’Appel des morts Editions du Masque – 497 pages –
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Daniel Lemoine
Le Tartan noir : La fiction criminelle écossaise a une école bien à elle. Cynique, portant une vision désespérée de la société, avec des antihéros pour enquêteurs, elle se regroupe depuis les années 1990 sous le label de « tartan noir ». L’expression a été forgée par l’auteur américain James Ellroy, qui a qualifié le romancier Ian Rankin de « roi du tartan noir », Ian Rankin est en effet la figure de proue de cette mouvance, et on lui prête généralement deux héros : John Rebus, son inspecteur à tendance alcoolique, et la ville d’Edimbourg, où il réside. Son premier polar, Knots and Crosses, publié en 1987 (inédit en français), se caractérisait déjà par un humour brutal et une obsession pour la question de la culpabilité.
Le Tartan noir ne puise pas uniquement son inspiration dans les brumes écossaises. Allan Guthrie, auteur et éditeur de romans policiers, revendique ainsi l’influence de Raymond Chandler sur son œuvre. Certains de ses confrères, eux, se réclament de Georges Simenon. Malgré la reconnaissance internationale de plusieurs se ses membres, le Tartan noir connaît des critiques en interne. Le terme est en effet considéré par certains auteurs, tel William McIlvanney, comme condescendant ou réducteur.
Source : Courrier international n° 1245 septembre 2014
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