Bergsveinn Birgisson : La Lettre à Helga
21/11/2014
Bergsveinn Birgisson est né en 1971. Titulaire d’un doctorat en littérature médiévale scandinave, il porte la mémoire des histoires que lui racontait son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l’Islande.
Arrivé au crépuscule de son existence, Bjarni le narrateur, se décide à écrire une longue lettre à Helga, celle qui fut le seul grand amour de sa vie mais qu’il ne sut retenir. Bjarni, vieillard de quatre-vingt dix ans, se souvient de tout. D’Unnur, sa femme décédée après cinq ans de souffrances suite à une opération intime qui ruina leur vie de couple ; d’Helga, mariée avec deux enfants, à laquelle il voua un amour profond et réciproque, et du cas de conscience qui mit un terme à leur bonheur envisageable : Helga enceinte de Bjarni, ne voyant que deux solutions, soient fuir loin des ragots vers Reykjavik la grande ville, pour y refaire leurs vies, soit se séparer définitivement et rester au village, elle avec son mari, lui avec ses regrets.
Le roman est très court mais il est très riche en réflexions et idées diverses. Les souvenirs du narrateur le ramènent aux années mille-neuf-cent-trente à soixante et à l’évolution subie par la société islandaise, l’occasion d’évoquer des traditions locales ou des pratiques de pêche et d’élevage. Ces us et coutumes induisent des comportements et des raisonnements qui éclairent les attitudes de Bjarni, comment abandonner sa terre, une propriété dans sa famille depuis neuf générations ? Mais comment vivre aussi, dans un bled où les commérages allaient déjà bon train sur Bjarni et Helga, avant même qu’il ne se passe réellement quelque chose entre eux ?
Bjarni reste attaché aux valeurs ancestrales, sans pour autant être passéiste. C’est une figure locale très impliquée dans la vie de la communauté, il est contrôleur du fourrage, s’occupe de la bibliothèque, bricole pour les uns et les autres, tout en s’occupant de son élevage de moutons. Homme simple et de bon sens, la Nature est tout pour lui.
Le roman est empreint d’une sensualité forte - « Une fois, peu après la fin de l’hiver, je me suis réveillé debout dans le pré, en caleçon long pour tout appareil, et avec une de ces érections ! » - où les seins d’Helga ont une place prépondérante, ce qui ne l’empêche pas en bon paysan de faire le rapprochement avec les mamelles de ses brebis. Birgisson sait aussi se faire poète, et s’il s’agit d’une poésie rustique, elle est sincère. Sans oublier une pointe d’humour comme lorsque vous découvrirez le sort réservé au corps défunt de l’épouse d’un autochtone.
Quand Bjarni achève sa lettre, avec une petite surprise ( ?) pour le lecteur, il ne peut que constater amèrement qu’il est « un bonhomme qui a préféré croupir dans son trou plutôt que suivre l’amour. »
Un très bon roman.
« Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. Arracher l’armature et le carton protégeant le moteur pour découvrir cette merveille éclatante qui allait changer la vie. Tu vois comme ma pensée rase les mottes, chère Helga : te comparer, toi, jeune et nue… à un tracteur ! C’est faire injure à ta beauté que de te mettre sur le même plan que les choses d’ici-bas ; Mais… pour ce qui était de faire l’amour, tu n’étais pas à la remorque. »
Bergsveinn Birgisson La Lettre à Helga Zulma – 131 pages –
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson
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