Michel Houellebecq : Soumission
13/01/2015
Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l’éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire, son cinquième roman.
Son dernier ouvrage, Soumission, vient de paraître comme vous ne pouvez l’ignorer. J’ai d’ailleurs eu toutes les peines du monde à ne pas lire ou écouter les commentaires polémiques qui ont envahi l’espace médiatique bien avant la sortie du bouquin afin de tenter de garder un regard objectif.
A la fin du second mandat de François Hollande, alors que s'opposent au deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen pour le Front National et Mohammed Ben Abbes le candidat modéré de la Fraternité musulmane, l’alliance entre les partis traditionnels, UMP, UDI et Socialiste, appelle au vote anti-FN. Ben Abbes est donc élu président et François Bayrou nommé premier ministre. François le narrateur, professeur de lettre à Paris III et spécialiste de J-K Huysmans, se retrouve confronté à la transformation de son université, à son éviction et à l’islamisation du pays.
Faut-il rappeler que Soumission est un roman, qu’un roman est une fiction et qu’une fiction est une création de l’imagination ? Oui, je le crois. J’ai à peine commencé ma chronique que déjà vous percevez mon agacement à devoir prendre des gants avant de m’exprimer. C’est déjà significatif de l’ambiance délétère qui règne dans notre pays et antérieure aux épouvantables évènements récents.
Qu’ai-je trouvé dans ce roman ? Tout d’abord, le Michel Houellebecq qu’on connait, l’écrivain français le plus moderne de notre littérature par les sujets abordés et sa manière toute personnelle de mettre le doigt où ça fait mal, tout en utilisant une langue très classique et soignée. Le début du bouquin et tous les passages consacrés à Huysmans, en fil rouge et écho à l’évolution du narrateur, Huysmans s’était converti au catholicisme, François se convertira à l’islamisme, sont particulièrement bien écrits et pour être franc, c’est ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage car j’ai crû y sentir le vrai Houellebecq, un homme désabusé fasciné malgré lui par l’appel de la religion, peut-être son seul espoir de se sortir indemne du cul-de-sac dans lequel il s’enferre. Mais c’est aussi l’écrivain aux descriptions claires, voire cliniques ou ressortant du genre mode d’emploi, tout comme celui qui lâche des réflexions déconcertantes comme « …une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel. »
On y lit aussi, comme dans ses autres livres, des réflexions outrageusement sexistes et sans ambiguïté qui font mal aux yeux et dont je m’étonne qu’on n’en fasse pas plus mention ; et du sexe triste autant qu’explicite. En fait, tout est triste chez Houellebecq car il ne connait pas les mots humanité ou empathie. Les rapports humains sont toujours appréhendés sous un angle abstrait ou intellectuel, au mieux ils sont sexuels, et c’est en cela que Houellebecq nous inquiète/nous dérange. Dans quel monde, parallèle au notre, vit cet homme ? Ici, seules quelques lignes consacrées à la dernière maîtresse de son père décédé, semblent être marquées par un peu d’humanité, « Chez cet homme âgé, ordinaire, elle avait su, la première trouver quelque chose à aimer. »
Aucun de ses personnages n’est sympathique, François est un solitaire (il n’a même plus de liens avec ses parents séparés) qui critique tout et tout le monde, le bon goût bourgeois et la pensée convenue, selon lui. Il est amorphe, mène une vie désincarnée, ne vote pas et se considère à peine comme Français « ce pays dont j’étais, de manière un peu théorique, citoyen », le genre à ricaner devant sa télé avec un plateau repas sur les genoux et deux bouteilles de bon vin à portée de main. « Je n’ai pas d’amis, c’est certain, mais en avais-je jamais eu ? Et à quoi bon, si l’on voulait bien y réfléchir, des amis ? » Quand on pousse la misanthropie à un tel degré, « L’humanité ne m’intéressait pas, elle me dégoûtait même, je ne considérais nullement les humains comme mes frères », tout raisonnement ou idée, émis par François (Houellebecq ?) perd de sa pertinence car bridée par sa vision erronée, ou du moins sujette à caution, du monde.
Et le racisme ? C’est ce que vous voulez savoir, c’est ce dont parle tout le monde même ceux qui n’ont pas lu le bouquin. Je n’emploierai pas ce mot. Ou alors par ricochet. Si d’imaginer que la France soit un jour dirigée par un parti islamique (femmes qui ne travaillent plus pour s’occuper des enfants et sortent voilées, polygamie et conversion à l’islam pour les fonctionnaires etc.) vous fait prendre en grippe les musulmans, alors oui, on peut dire que cet ouvrage est raciste. Mais au même titre que la littérature de SF des années cinquante avec ses invasions de Martiens étaient anticommuniste. Au contraire, et si on s’en rapporte au titre du roman, on peut y voir une dénonciation des soumissions des uns et des autres, individuelle et collective, ayant permis d’en arriver à cet état de fait. Ici, les universitaires et François à la fin, accepteront les gros salaires, la conversion et les mariages arrangés avec de très jeunes filles, pour être aux normes et réintégrer l’université.
Au final, un roman de Houellebecq plutôt moyen, de belles pages sur Huysmans, une idée de base réellement originale et qui prête à discussion mais aussi beaucoup de flou dans la partie politique-fiction (aucune opposition après l’élection ? que devient le FN ?) et un regard sur les femmes franchement intolérable. En refermant ce bouquin, je me suis senti conforté dans mon désir de république laïque, loin de tous les pouvoirs religieux – tous – et dans la confirmation que la démocratie est une chose fragile nécessitant une vigilance de tous les instants.
« Suave et ronronnant, son discours se poursuivit pendant une dizaine de minutes avant qu’on ne passe aux questions de la presse. J’avais remarqué depuis longtemps que les journalistes les plus teigneux, les plus agressifs étaient comme hypnotisés, ramollis en présence de Mohammed Ben Abbes. Il y avait pourtant, me semblait-il, des questions embarrassantes qu’on aurait pu lui poser : la suppression de la mixité, par exemple ; ou le fait que les enseignants devraient embrasser la foi musulmane. Mais après tout n’était-ce pas le cas, déjà, chez les catholiques ? Fallait-il être baptisé pour enseigner dans une école chrétienne ? En y réfléchissant je me rendais compte que je n’en savais rien, et au moment où s’achevait la conférence de presse je compris que j’en étais arrivé exactement là où le candidat musulman voulait me mener : une sorte de doute généralisé, la sensation qu’il n’y avait rien là de quoi s’alarmer, ni de véritablement nouveau. »
Michel Houellebecq Soumission Flammarion – 300 pages -
8 commentaires
Voilà enfin un article constructif et intelligent sur ce livre que je ne lirai sûrement pas parce que je n'aime pas vraiment cet auteur (je préfère lire un autre de ses romans pour essayer encore une fois) et pour ce que vous en dites sur le regard porté sur les femmes.
Je comprends très bien que vous ne lisiez pas ce roman, d’abord parce qu’il n’est pas très bon et ensuite parce que Houellebecq n’est pas un écrivain anodin. Tentez votre chance avec « La Carte et le territoire » chroniqué sur ce blog ; si là encore ce n’est pas à votre goût, laissez tomber sans regrets ! Il y a plein d’autres écrivains et un paquet de très bons romans qui vous attendent….
Je pourrais copier le commentaire de krol (et j'ai bien sûr lu votre réponse). En tout cas j'ai lu votre billet, le premier sur ce roman d'un auteur que je n'ai jamais lu (et j'ai le droit). Pas son meilleur, je vous crois sur parole. ^_^
En début de semaine dernière il y a bien eu des débuts de polémique à la télé, y compris avec des gens n'ayant pas lu le livre et ça m'agaçait, pourquoi ne pas le lire, ensuite au moins on peut en parler! Depuis mercredi dernier, ces discussions là autour du roman ont disparu des médias...
Encore heureux qu’on ne soit pas obligé de lire un roman, quel qu’il soit ! Moi-même, je suis toujours mal à l’aise quand je lis Houellebecq car entre l’inacceptable récurrent (sa misogynie) et ses sujets/positions très suspects, j’ai des suées à chaque page. S’il avait le bon goût (!!!) de mal écrire, son cas serait définitivement classé pour moi, mais il s’avère que souvent son écriture est très belle et parfois carrément excellente. D’un autre côté, il personnifie parfaitement une certaine frange de nos contemporains et de notre époque, ce qu’on ne peut ignorer en faisant comme s’il n’existait pas. Un peu – mais différemment bien sûr - comme ces écrivains américains des années 80 se vautrant dans leurs romans dans la luxure, la coke et le fric facile dont on nous a rebattu les oreilles alors… Et puis, il y a cette inconnue pour moi qui me fascine, derrière l’écrivain Houellebecq, se cache une souffrance ou une recherche spirituelle, qui éclatera un jour et dont je suis curieux de voir la forme qu’elle prendra. Pour conclure, un écrivain excessivement complexe, qui doit être lu avec des pincettes…
Je lis votre commentaire et je suis confortée dans l'idée que je ne lirai pas son dernier livre. Houellebecq aime choquer et il réussit dans ce dernier opus, mais vous le dites vous-même : il omet volontairement l'idée d'une opposition de la part du parti opposé (le FN en l'occurrence) mais tout simplement des concitoyens de ce pays qui ont toujours considéré que la laïcité primait sur le reste, donc une conversion forcée ? Et quand je cite le peuple français, j'inclus les musulmans modérés qui sont largement majoritaires.
Pour la part sur l'homme foncièrement négatif et désabusé par l'humanité, ça fait partie de son charme, il n'a jamais respiré la joie de vivre et rien ne change.
Enfin, je vous remercie d'aborder un sujet qui, est rarement abordé lorsqu'on parle de son œuvre : son sexisme ! Il est comme Zemmour, il hait foncièrement les femmes qui, dans ses romans, sont toutes froides, manipulatrices et vénales. Sans doute est-ce lié à son maigre succès auprès de la gente féminine, mais en 2015, je ne tolère plus ce genre de propos.
Meilleurs vœux
Concernant son sexisme, je suis le premier étonné qu’on n’en fasse pas plus mention. Peut-être est-ce un trop vieux combat, oublié car lassant pour la critique professionnelle qui se cherche de nouveaux os à ronger, ce en quoi Houellebecq ne la déçoit jamais… Meilleurs vœux à vous aussi !
Et oui, après La carte et le territoire, il ne pouvait que décevoir... Je le suis moi-même, déçue, alors que c'est l'un des seuls romanciers francais qui m'intéresse...
Ceci dit, je trouve votre billet excellent, vous avez meme souligne ce qui fait de lui un véritable ecrivain, meme lorsqu'il n'est pas au mieux - non mais vous avez vu dans quel état il semble se retrouver, je veux dire physiquement ?
Sinon, son humour tourne en rond, ses explications politiques fatiguent... Ca m'attriste un peu, je dois dire...
Je me permets juste de tenter de le défendre, contre votre avis : il n'est pas raciste -vous ne l'avez pas avancé, entendons nous bien -, il n'est pas misanthrope, selon moi, il n'est même pas sexiste, au risque de vous étonner... Il me semble juste qu'il ne s'aime vraiment pas lui-même, mais alors pas du tout... Et à ce point, ca me rend un peu triste, tant Ca frôle le pathétique...
Allez, je vais m'enfiler un petit coup de blanc pour oublier que ce coup-ci, il n'a même pas compensé le désespoir par l'humour qui en est la politesse... Je continuerai de le soutenir néanmoins, par principe, parce qu'on ne laisse pas tomber un pote qui plonge. Et parce que c'est quand même un putain de bon ecrivain !
Bonne soirée a vous et au plaisir de vous lire !
CR
« …il n'est pas misanthrope, selon moi, il n'est même pas sexiste, au risque de vous étonner... Il me semble juste qu'il ne s'aime vraiment pas lui-même… » Oui, c’est certain ! Je suis d’accord avec vous pour voir dans tous les travers attribués à l’écrivain une cause s’expliquant par ses problèmes psychologiques, mais pour autant, compréhension ne vaut pas absolution… Par ailleurs, concernant sa débâcle physique qui m’effarait il y a quelques années, lorsqu’il est passé au JT de 20h de France2, il y a deux semaines, je lui ai trouvé une bien meilleure mine et ses réponses à Pujadas ne manquaient pas d’un bon sens serein ( ?).
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