Philip Roth : La Bête qui meurt
22/03/2015
Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Ce roman, La Bête qui meurt, est paru en 2004.
David Kepesh, l’un des multiples héros récurrents dans l’œuvre de Roth, professeur de littérature et animateur d’émissions de radio ou de télévision confidentielles, a soixante-deux ans quand il tombe sous le charme d’une jeune étudiante de vingt-quatre ans, Consuelo Castillo, fille de bonne famille d’émigrés cubains. Fasciné par le corps de la jeune femme et ses seins en particulier, le vieux séducteur va tomber dans une addiction qui le surprend lui-même, l’entrainant vers la jalousie et la dépression. Il s’en sortira par la rupture mais quand huit ans plus tard, la belle atteinte d’un cancer du sein viendra le chercher pour trouver un réconfort moral, comment David Kepesh réagira-t-il au chant de la sirène ?
Philip Roth une fois encore creuse inlassablement son sillon, la vieillesse qui nous guette tous (« Personne ne veut la regarder en face avant d’y être obligé ») avec la mort en point de mire et le sexe, comme baromètre de notre vitalité, preuve que nous sommes toujours vivants. Comment peut-on vivre sans sexe, s’interroge sans cesse Roth ? « Le sexe ne se borne pas à une friction, à un plaisir épidermique. C’est aussi une revanche sur la mort. Ne l’oublie pas, la mort. Ne l’oublie jamais. Non, le sexe n’a pas un pouvoir illimité, je connais très bien ses limites. Mais dis-moi, tu en connais, un pouvoir plus grand ? »
L’écrivain revient sur la libération sexuelle des années 60, « cette délivrance » qui mit à mal le puritanisme régnant jusqu’alors. Sa réflexion s’élargit au rôle de la pornographie et il ne manque pas de condamner le mariage, « Le mariage standard est d’une nature tout aussi étouffante pour l’hétérosexuel viril (…) qu’il l’est pour la lesbienne ou l’homo. Remarque, de nos jours, même les gays veulent se marier (…) Attends un peu qu’ils comprennent ce qu’il advient du désir qui les a faits homos à la base. Ils me déçoivent, ces gars-là, ils ne sont pas plus réalistes que les hétéros. »
Ce n’est certainement pas le meilleur roman de Roth mais il reste haut placé au regard de la production des autres. J’adore cet écrivain, ce qui fausse peut-être mon jugement, mais je ne sais pas résister à son écriture si fluide, si évidente. Et ses héros, comme David Kepesh, ni bons ni mauvais, justes humains avec ce que cela induit d’héroïsme, de lâcheté ou de travers, me touchent dans leur urgence à vouloir rester vivant jusqu’au bout. Sans oublier cette ironie ou cet humour latent qui interpelle le lecteur, les propos des personnages sont-ils la pensée de Roth ou de la pure fiction ?
Quant au titre du roman, il est emprunté à un poème de Yeats « Consume mon cœur ; malade de désir, / et attaché à une bête qui meurt / Il ne sait ce qui lui arrive. »
« Comprends-moi bien. Tu ne te berces pas de l’illusion qu’à travers une Consuela tu vas retrouver ta jeunesse une dernière fois. Au contraire, la différence n’est jamais aussi flagrante. Du fait de sa jeunesse à elle, de son enthousiasme, de l’inexpérience de sa jeunesse, de l’expérience de sa jeunesse, la différence ressort à chaque instant. Pas d’erreur, c’est bien elle et non toi qui a vingt-quatre ans. Il faudrait être un abruti pour croire retrouver sa jeunesse. Si on croyait la retrouver, ce serait un jeu d’enfant. Loin de te sentir rajeunir, tu mesures l’écart poignant entre son avenir illimité et les bornes du tien, et tu éprouves encore plus qu’à l’ordinaire l’éphémère poignant de toutes les grâces perdues. Tu te fais l’effet de jouer au base-ball avec des types de vingt ans, dans ces moments-là. On remarque la différence à chaque seconde du match. Mais au moins, on n’est pas assis sur le banc de touche. En somme, on éprouve douloureusement son âge, mais d’une façon nouvelle. »
Philip Roth La Bête qui meurt Gallimard - 137 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun
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