Eve Babitz : Jours tranquilles, brèves rencontres
16/05/2015
Eve Babitz, née en 1943 à Hollywood, est la fille d’une mère artiste et d’un père violoniste pour la 20th Century Fox, amis du compositeur Igor Stravinsky, son parrain. Elle a publié son premier livre en 1974 après avoir conçu à la fin des années 60 des pochettes de disques pour Atlantic Records (Linda Ronstadt, The Byrds, Buffalo Springfield…). Egérie des années 60, adepte de la libération sexuelle, elle fréquentera Jim Morrison (chanteur des Doors), Edward Ruscha (peintre, photographe), Walter Hopps (commissaire d’exposition) mais aussi les acteurs Steve Martin et Harrison Ford, ou l’écrivain Dan Wakefield. En 1997 elle est sévèrement brûlée dans un accident, sans assurance maladie, ses amis et sa famille feront appel à des donateurs pour régler les frais d’hôpital et depuis elle reste le plus souvent recluse chez elle.
Jours tranquilles, brèves rencontres qui regroupe des écrits datant du milieu des années 70, vient d’être traduit chez nous. Une petite dizaine de textes formant « une histoire d’amour ; c’était involontaire » comme s’en excuse l’auteure dans son introduction. Histoires d’amours au pluriel, dirons-nous. D’abord dans le sens classique de l’expression puisqu’il sera fait référence à des hommes qui croiseront son existence mais aussi, et surtout, à l’amour qu’elle porte à sa ville de Los Angeles, bocal d’où ce poisson rouge a du mal à s’éloigner.
Est-ce un roman, sont-ce des chroniques, quelle est la part du vrai et du faux ? A vrai dire je ne sais pas trop mais par ailleurs, est-ce réellement important ? Nous croisons : un acteur qui l’entraîne voir un match de baseball, un truc ahurissant pour elle, « c’est le seul qui puisse m’emmener voir du sport » ; une starlette qui n’aime pas la célébrité ; Janis Joplin, une semaine avant son décès. Mais il est aussi question de la pluie qui ne tombe pas souvent et des vents chauds de Santa Ana ; d’une résidence pour vieux riches, close de murs et gardée, mais où, constate-t-elle, « Cela ne me dérangeait pas que tout le monde soit si tristement hideux et nixonien, puisque cela nous isolait en quelque sorte. » Ca parle un peu de drogues et d’alcool, mais sans qu’on s’y vautre complaisamment comme on aurait pu s’y attendre, vu que nous évoluons dans le milieu artistique aux portes d’Hollywood.
Eve Babitz se révèle femme de caractère, éloignée des conventions, n’hésitant pas à balancer de son écriture incisive des trucs comme « la galanterie n’était autre qu’un procédé masculin infâme destiné à ce que les femmes restent à leur place » ou bien « je pense que l’adultère est un art. » Un bouquin à ranger aux côtés de ceux de Joan Didion.
« Alors aujourd’hui, quand vous atterrissez à Burbank, vous n’arrivez plus dans la beauté indigène et légèrement émeraude d’une aérogare Lockheed en harmonie avec son environnement ; non. Aujourd’hui, vous arrivez et bim ! vous êtes en plein milieu de… Los Angeles ! C’est embarrassant quand on aime Los Angeles. Je suis ravie de trouver ma Volkswagen qui m’attend là avec impatience. Je jette mon lourd manteau en poil de chameau sur la banquette arrière, mon petit sac de voyage devant à côté de moi. Ma claustrophobie de San Francisco commence à disparaître – cette vitalité bien ordonnée du nord trouble mon esprit, et j’ai envie de grandes étendues urbaines, de smog et de nuits tièdes : Los Angeles. C’est là que je travaille le mieux, que je peux vivre, en faisant abstraction de la réalité physique. »
Eve Babitz Jours tranquilles, brèves rencontres Gallmeister – 222 pages –
Traduit de l’américain par Gwilym Tonnerre
Philippe Garnier, dans son roman Les Coins coupés (Grasset, 2001), fait d’Eve Babitz l’un de ses personnages :
« C’est Eve Babitz qui lui avait appris les premiers mots angelenos, avant même qu’il en connaisse le sens – des mots magiques comme jacarandas, surface streets, basin, Inland Empire ou taquitos. Il la connaissait de longue date, à cause des collages qu’elle faisait pour diverses compagnies de disques, surtout Atco-Atlantic, notamment pour les pochettes du Buffalo Springfield. Elle était fille d’émigré russe, un violoniste qui jouait dans les orchestres alors employés à l’année par les studios. Stravinsky l’avait fait sauter sur ses genoux. Elle avait été à l’école à Hollywood High et esquinté sa jeunesse au Troubadour. Stretch savait aussi qu’elle avait connu Gram Parsons et avait des photos inédites de lui. Ce qu’il ne savait pas, par contre, mais avait découvert depuis, c’est qu’Eve Babitz avait un jour joué aux échecs avec Marcel Duchamp, entièrement nue, à neuf heures du matin. C’était pour un photographe lors de l’expo Duchamp au musée de Pasadena en 1964. »
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