Trevanian : Shibumi
20/07/2015
Mystérieux écrivain que ce Trevanian dont on ignora longtemps tout de sa vie. Si son premier roman, La Sanction (adapté par Clint Eastwood au cinéma), parait en 1972, ce n’est qu’en 1983 que de premières indiscrétions commencent à filtrer par le Washington Post et qu’en 1998, l’écrivain se livre enfin dans deux entretiens réalisés par fax. Il semble avéré que Trevanian soit le pseudonyme de Rodney Whitaker, né en 1931 dans l’Etat de New York et décédé en 2005 en Angleterre. Au milieu des années 1970, après avoir quitté l’université du Texas (professeur associé à l’université du Texas, à Austin – département cinéma), il quitte définitivement les Etats-Unis et partage son temps entre la France, dans le petit village basque de Mauléon, et l’Angleterre, à Dinden, dans le Somerset, où il passera le reste de sa vie avec sa femme, rencontrée à Paris, et ses quatre enfants. Auteur de sept romans, dont ce Shibumi datant de 1979, il a également écrit des nouvelles sous divers pseudonymes.
Nicholaï Hel est l'homme le plus recherché du monde. Né à Shanghai durant la Première Guerre mondiale, fils d'une aristocrate russe et protégé d'un maître de go japonais, il a survécu à la destruction d'Hiroshima pour en émerger comme l'assassin le plus doué de son époque. Désormais retiré dans sa forteresse du Pays basque au cœur des montagnes, en compagnie de sa délicieuse maîtresse, Nicholaï accueille une jeune étrangère, Hannah Stern, venue lui demander son aide au nom d’une vieille amitié le liant à son oncle. Il se retrouve alors traqué par une organisation internationale, la Mother Company, et doit se préparer à un ultime affrontement.
Si après ce bref résumé je révèle que le récit de « l’ultime affrontement » n’est pas la part la plus importante du roman, ni même la plus intéressante, ne vous méprenez pas, il s’agit-là néanmoins d’un sacré roman ! Thriller, roman d’espionnage, il y a de tout cela mais porté à un très haut niveau de littérature. Ce qui fascine chez Trevanian, ce sont ses connaissances ; documentation élaborée ou savoir personnel, je ne saurais dire, mais quelque soit le sujet abordé, il en parle comme s’il en était un expert. Je l’avais déjà remarqué dans La Sanction, au sujet de l’alpinisme mais ici, c’est plus impressionnant encore car les thèmes sont plus nombreux : la spéléologie, la langue basque, le jeu de go (d’où le titre du livre) et la culture Japonaise au sens le plus large, etc. Ce dernier point étant un élément central du roman. Ca peut paraitre un étalage de savoir mais c’est aussi terriblement intéressant et instructif.
Le roman est dense et semble déborder de tout et plus encore. Tous les chapitres revenant sur la jeunesse, l’éducation et l’objectif spirituel de Nicholaï Hel sont passionnants, car liés aux principes d’honneur et d’éducation à la japonaise ; tout ce passé, riches en détails exotiques, n’est pas sans évoquer le souffle d’un Alexandre Dumas (Alexandra Ivanovna, mère de Hell, semble échappée d’un de ses roman). Le texte n’est pas dénué d’humour non plus (voir les talents de conducteur de Pierre le jardinier), qui plus est sous toutes ses formes, car si les dénonciations xénophobes émaillent régulièrement le récit, les Français morflent pas mal mais chaque nation en prend pour son grade aussi à commencer par les Américains, à la longue on réalise qu’il s’agit de second degré (du moins j’espère !).
Si Nicholaï Hel est un tueur (« exterminateur professionnel de terroristes internationaux »), son personnage reste pourtant très attachant et très complexe : polyglotte, adepte des arts martiaux, mystique, un genre de samouraï moderne. Quant à l’intrigue proprement dite, elle mêle le terrorisme international (assassinat des athlètes Israéliens aux J.O. de Munich en 1972) et ses conséquences vengeresses, les saloperies de la real politik dans l’ombre des Etats, la Mother Company qui chapeaute CIA et NSA et une vengeance personnelle. Cette part de l’ouvrage est plus classique, et ne manque pas de détails abracadabrants avec des personnages très caricaturaux, voire raté comme le père Xavier.
Il n’empêche qu’il s’agit d’un très bon roman.
« Comme tu le sais, shibumi implique l’idée du raffinement le plus subtil sous les apparences les plus banales. C’est une définition d’une telle exactitude qu’elle n’a pas besoin d’être affirmative, si touchante qu’elle n’a pas à être séduisante, si véritable qu’elle n’a pas à être réelle. Shibumi est compréhension plus que connaissance. Silence éloquent. Dans le comportement, c’est la modestie sans pruderie. Dans le domaine de l’art, où l’esprit de shibumi prend la forme de sabi, c’est la simplicité harmonieuse, la concision intelligente. En philosophie, où shibumi devient wabi, c’est le contentement spirituel, non passif ; c’est exister sans l’angoisse de devenir. Et dans la personnalité de l’homme, c’est… comment dire ? L’autorité sans la domination ? Quelque chose comme cela. »
Trevanian Shibumi Gallmeister – 443 pages –
Traduit de l’américain par Anne Damour
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