Julien Suaudeau : Le Français
29/09/2015
Julien Suaudeau, né en 1975, a grandi à Evreux, fait Sciences-Po et fréquenté les salles de boxe de nos banlieues. Il vit aux États-Unis depuis 2006 après avoir travaillé en Belgique et en Azerbaïdjan, réalisé des films… Aujourd'hui, il enseigne le français dans une High-school du New Jersey. Son premier roman, Dawa, paru l’an dernier, avait été une belle claque ; son nouvel opus, Le Français, vient de sortir en librairie et c’est une fois encore une belle surprise.
Surprise à plus d’un titre. Parce qu’il est à nouveau question du djihad et que je ne m’attendais pas à ce que ce même sujet soit repris dans son second roman ; parce qu’après le pavé de cinq cents pages, je me suis étonné de recevoir de l’éditeur un bouquin de deux cents pages seulement ; parce qu’enfin, Julien Suaudeau a complètement changé de style d’écriture, on le constate après quelques pages à peine.
Le narrateur, Français blond aux yeux bleus d’une vingtaine d’années, vit à Evreux. Une vie morne et terne qui par un enchainement de circonstances, va l’entrainer à Bamako au Mali, puis en Syrie, pantin d’un djihad tragique et itinéraire d’un enfant gâché.
Avec ce second roman, Julien Suaudeau affirme nettement son talent d’écrivain. Si Dawa donnait un aspect journaliste en immersion à son épopée terroriste, beaucoup de détails et une intrigue en mode thriller d’excellente qualité au demeurant, Le Français joue dans une autre catégorie. L’écrivain adopte un style plus mûr, plus littéraire dans le sens noble du terme, l’écriture est très belle, le récit est plus ramassé, avec des ellipses et beaucoup moins de détails. Un récit plus intimiste, plus subtile aussi.
L’auteur s’attache à la psychologie de son personnage central, cette zone floue où l’esprit déraille et se perd, rêve éveillé déformant la réalité, et tente non pas d’expliquer mais de nous faire toucher du doigt ce qui peut motiver un jeune Français (Occidental non musulman) à se retrouver embringué dans une colonne djihadiste et perpétuer des meurtres ignobles. Le narrateur, malgré ses actes, n’est jamais vraiment antipathique, ce qui dérange profondément le lecteur et signe la réussite de l’écrivain. Car là, est le but de l’auteur, montrer une révolte compréhensible empruntant une voie qui l’est moins.
La révolte, c’est celle de ces jeunes de tous horizons ou origines sociales, déboussolés devant ce monde vide de repères tangibles, n’offrant aucun avenir ou perspectives fortes et trouvant dans le djihad, non pas un but mais une voie de sortie. Car il n’est pas question de religion ici, « Vous me parlez de Dieu, mais je ne vois que des hommes », juste un moyen pour être, ne serait-ce que quelque temps. Au final, on peut dire que ce roman n’est pas le procès du djihadisme mais celui de notre société qui par ses injustices multiples a créé de toute pièce son pire ennemi.
Un superbe roman qui confirme le talent de Julien Suaudeau.
« Ali m’a regardé dans les yeux et il a repris : « Il n’y a pas qu’une seule vie. Il y a d’autres pays, et d’autres voies. » C’était la première fois que je voyais son regard en face. « Mais tout le monde n’est pas fait pour vivre libre. Regarde-moi : on s’habitue à vivre mal. » Je lui ai dit qu’il pouvait changer de travail s’il n’aimait pas l’entrepôt. « Ce n’est pas le travail, fils. Le travail, c’est le travail, n’importe où. C’est l’impossibilité d’être un homme. De se lever sans peur, de vivre sans regret, de se coucher sans honte. Les gens comme nous n’ont pas le droit de vivre comme des hommes. »
2 commentaires
je crois que je préfèrerais le procès du djihadisme. même si notre société est injuste on n'a pas besoin d'aller assassiner des dessinateurs satiriques pour ça
Que l’on soit contre Daesh, c’est normal et évident, pour moi aussi ! Par contre, il n’est pas inutile pour ne pas dire salutaire, de se poser la question : pourquoi de jeunes français, non musulmans de surcroît, partent-ils en Syrie pour combattre aux côtés de l’Etat Islamique ? Ce roman (donc ce n’est pas un essai ou une étude sociologique) essaie de nous le faire comprendre (et comprendre n’est pas adhérer), sans descriptions sanguinolentes ni mots d’ordre partisans, mais de belle littérature.
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