Georges Simenon : Malempin
20/02/2016
Georges Simenon est un écrivain belge francophone (1903-1989). L'abondance et le succès de ses romans policiers (notamment les « Maigret ») éclipsent en partie le reste d'une œuvre beaucoup plus riche. Simenon est en effet un romancier d’une fécondité exceptionnelle, on lui doit 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom et 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes. Malempin est paru en 1940.
Le docteur Edouard Malempin, médecin aux hôpitaux de Paris, se prépare à partir en vacances avec sa famille quand son fils cadet Jérôme, huit ans et surnommé Bilot par son frère, est frappé par une diphtérie maligne. La famille vit dans l’angoisse et Malempin fait appel à un confrère pour s’assurer de l’objectivité des soins apportés à l’enfant. Pour tromper son attente et répondre à la question muette que lui adresse le regard du malade, Malempin se lance dans la rédaction d’un journal dans un cahier d’écolier afin aussi de réfléchir et revenir sur sa propre vie, quelle image garde-t-il de son propre père et quelle sera celle que Bilot retiendra de lui ? Le présent et le passé vont se mêler, les souvenirs remonter par fragments, les uns en appelant d’autres et d’étranges interrogations inquiétantes sur ses parents troubler son esprit et celui du lecteur.
J’adore ces hasards de la lecture qui me font à peine sortir d’un roman de Patrick Modiano pour tomber sur celui de Georges Simenon, où l’écrivain à la pipe traite ici, le même sujet récurrent dans l’œuvre de l’autre, le rôle de la mémoire, ce que l’on retient ou pas du passé et de ce que nous en faisons dans notre présent.
Car c’est de cela qu’il est question dans ce roman. Que s’est-il passé à un certain moment durant l’enfance de Malempin quand il vivait en Charente ? Le jour où après une visite chez ses parents, de petits cultivateurs pas bien riches, l’oncle Tesson, usurier à ses heures, disparaitra à jamais et qu’interrogée par les gendarmes, sa mère mentira devant Edouard, un sujet sur lequel ils ne reviendront jamais ni l’une, ni l’autre, brisant toute communication entre eux pour toujours (« Maintenant encore, je ne connais que par bribes l’histoire de notre famille, puisque aussi bien, chez nous, il a toujours été de règle de taire avec pudeur les vérités essentielles »). Ce Tesson, dont une petite part de l’héritage touché par sa seconde femme sera alloué à l’éducation d’Edouard et lui permettra de faire ses études de médecine.
Petites haines familiales dans les provinces, héritage jamais perdu de vue par les uns et les autres, rancœurs et jalousies, discussions d’adultes captées plus ou moins bien par les gamins, tissent un passé qui maintenant revient à la mémoire d’Edouard Malempin et le pousse à s’interroger sur son présent, sa propre vie de famille, ses rapports avec sa femme (« Je me suis marié parce que j’avais vingt-huit ans et qu’il n’est pas pratique pour un médecin d’être célibataire. »)
Un roman de Simenon certainement pas du niveau de ses meilleurs, mais qui m’a semblé original dans son écriture qui ne coule pas de source, passé et présent se mêlant certaines explications ne viennent qu’à posteriori. Pour ceux qui se lasseraient des Maigret, Simenon offre encore de nombreuses autres possibilités…
« C’était la fille d’un cabaretier. Elle avait été longtemps la maîtresse de mon oncle avant de se faire épouser. Elle était boulotte, avec une forte poitrine. Elle ne s’habillait pas du tout comme ma mère, car je n’aurais jamais pu dire comment ma mère était faite alors qu’on sentait vivre tout le corps de tante Elise, au point qu’il m’est arrivé de rougir sans raison précise alors qu’elle me prenait sur ses genoux. Est-ce pour cela qu’il est arrivé à ma mère de recommander à mon père, dans la voiture : « J’espère que tu sauras te tenir ? » Je le jurerais. Je n’y avais jamais pensé, mais c’est évident. Et pourquoi ai-je en tête un mot que je suis sûr d’avoir entendu sans pouvoir le situer ? « Les hommes, ça ne pense qu’à leurs saletés… » C’était ma mère qui parlait. A qui ? Je l’ignore. Mais elle l’a dit. Elle avait horreur du mâle. »
Georges Simenon Malempin La Pléiade Pedigree et autres romans – 103 pages –
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