T.C. Boyle : América
27/07/2016
T.C. Boyle (Tom Coraghessan Boyle) est un écrivain et romancier américain né en 1948 à Peekskill dans l’Etat de New York. Depuis 1978, il anime des ateliers d’écriture à l’Université de Californie du Sud et vit près de Santa Barbara, dans une maison dessinée par l’architecte Frank Lloyd Wright. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles ainsi que de nombreux romans. Celui-ci, América, date de 1995.
Delaney Mossbacher est écrivain, rédigeant des articles écolos pour la presse ; sa seconde femme, Kyra, bosse pour une agence immobilière ; avec Jordan le fils de sa femme, leurs deux chiens et le chat, ils habitent une jolie maison dans un domaine de résidences huppées vers Topanga Canyon, près de Los Angeles, loin de la grande ville et de ses dangers. Un soir, alors qu’il rentre chez lui en voiture, Delaney renverse sur la route un « chicano », un Mexicain entré clandestinement en Californie. Candido, c’est son nom, vit misérablement dans les broussailles au fond d’un ravin, avec sa jeune femme América, enceinte. Ils sont venus aux Etats-Unis, pour fuir la misère, la violence et la corruption régnant dans leur pays, bien décidés à travailler dur pour s’en sortir.
Deux mondes que tout oppose, en théorie à cent lieues l’un de l’autre et pourtant si proches. La bourgeoisie aisée du monde de Delaney, ses belles demeures, ses belles voitures, la campagne toute proche, au fond du jardin, où il excursionne pour faire ses observations animales et alimenter ses articles. Et dans cette campagne, tapie dans les coins sombres pour échapper à la police et aux services de l’immigration, des Mexicains qui vivent là comme des bêtes, moins bien même, sans ressources, ne parlant pas la langue du pays, qu’on ne voit que sur le parking de la supérette, attendant le bon vouloir d’un patron qui les engagera peut-être pour une journée de labeur avant qu’ils ne retournent dans leur trou pour la nuit.
La faim (sauf à bouffer dans les poubelles), la soif (boire l’eau croupie de l’arroyo), l’humiliation (lui le mari ne peut subvenir aux besoins de sa femme), la violence (América sera violée, Candido sera battu), T.C. Boyle nous plonge dans le destin tragique de ces immigrés qui fuient leur pays, prêts à endurer les pires souffrances pour, non pas toucher le gros lot, mais obtenir le minimum vital pour vivre dignement, à savoir un job et un toit. Candido et América vont devoir affronter, non seulement l’indifférence ou la répulsion des locaux mais aussi, leurs propres frères de misère, Mexicains aussi pauvres qu’eux mais qui n’hésiteront pas à les dépouiller du peu qu’ils possèdent, le combat pour la vie est sans pitié. Le lecteur enrage d’impuissance, car l’écrivain a pris soin de nous montrer Candido et América sous un jour favorable.
De leur côté, nos Américains bon chic, bon genre, commencent à s’inquiéter de la présence de ces bandes de Mexicains venant dévaloriser leur décor ou source de tracas. Ils vont faire dresser un mur autour de leur domaine, avec un portique et un vigile à l’entrée. Et lentement, mais sûrement, nous assistons au retournement de pensée de Delaney, lui le libéral, opposé au départ à ce mur va s’y résoudre d’abord par lâcheté conjugale (sa femme y tient, elle), puis par paranoïa, allant jusqu’à traquer les Chicanos jusqu’au fond de la ravine armé d’un révolver. Ou comment le racisme, la peur de l’autre, en vient à gangréner même ses plus farouches opposants. Le roman s’achevant dans un final apocalyptique où l’écrivain, pour ne pas rendre son bouquin plus noir qu’il n’est déjà, semble ouvrir une porte à l’espoir en l’homme… ?
Roman magnifique pour la forme. L’écriture est limpide, même si des tournures de phrases m’ont parfois étonné (« la petite boite noire à lui prêtée par le Service de surveillance électronique du comté de Los Angeles »), extrêmement détaillée comme toujours chez Boyle, portée par un souffle puissant, sans que le texte ne soit dénué d’humour pour autant ou de scènes grandioses. Roman dramatique pour le fond, car écrit il y a vingt ans, il reste complètement d’actualité, peut-être même pire encore.
Un excellent roman.
« Bien, mais… Où ces gens étaient-ils censés aller ? Rentreraient-ils au Mexique ? Il en douta, tout ce qu’il savait des espèces migratoires et des réactions d’une population qui se fait déloger par une autre lui disait le contraire. Tout cela conduisait à la guerre, à la violence et aux meurtres jusqu’à ce qu’enfin un groupe ait décimé l’autre et rétabli ses droits sur ses territoires de chasse, ses pâturages ou ses aires de nidification. C’était triste, mais les choses se passaient comme ça. »
T.C. Boyle América Le Livre de Poche - 447 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
4 commentaires
je pense avoir lu ce roman mais ce billet me donne envie d'y revenir, merci
Ce roman n’est pas une nouveauté, d’un écrivain réputé qui plus est, donc vous l’avez certainement déjà lu. Il n’empêche qu’il est très bon et reste – hélas – très moderne ou d’actualité !
Bon, et bien vous me faites dépenser des sous, en ce moment… Mais c'est pour la bonne cause, donc, merci.
Je pense quand même à votre porte-monnaie puisqu'il s'agit d'un livre de poche... Un rapport qualité/prix très favorable !
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