Interview d’une traductrice
04/09/2016
Ce billet a déjà été publié en 2013 mais j’avais dû le retirer plus tard, suite à une injonction de la traductrice faisant valoir son droit à l’anonymat sur Internet. Néanmoins, le trouvant très intéressant, je le republie aujourd’hui, sans citer le nom de cette personne.
Dans un précédent billet, je m’interrogeais sur les traductions et le rôle du traducteur. Pour lever un coin du voile, le mieux était de m’adresser directement à ceux qui nous permettent de lire en français tous ces ouvrages sans qui ils nous resteraient totalement inconnus. Cet entretien a donc un but double, nous éclairer sur le métier de traducteur et rendre hommage à ces artisans indispensables qui œuvrent dans l’ombre.
Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous donner quelques éléments biographiques liés à votre métier de traductrice ?
Je suis traductrice depuis 2008, principalement d’anglais vers le français et depuis peu d’espagnol vers le français. A ce jour, j’ai traduit une vingtaine d’ouvrages, principalement des essais et un premier roman qui vient de paraître.
J’ai fait des études de traduction puis je suis parti vivre seize ans aux Etats-Unis pour y enseigner le français. Je suis professeur agrégé d’anglais et j’ai une maîtrise d’espagnol, sachant que l’anglais est plus ma spécialité. J’ai fait un master de traduction littéraire à Paris VII (Charles V) car la traduction est ma vocation première. Après un stage chez un éditeur j’ai décroché une première traduction, puis j’ai passé un second master pour des traductions techniques, juridiques et surtout économiques.
Actuellement je travaille pour une agence de traductions, un métier où il faut être réactif et disponible, pour des missions à court terme, plutôt techniques et donc moins littéraires.
J’ai cru comprendre que le roman que vous avez traduit, c’est vous qui l’aviez proposé à un éditeur. Or, je n’ai pas l’impression que ce soit une démarche courante, non ?
C’est exact, c’est moi qui l’ai proposé alors que ce n’est pas du tout la règle. D’habitude ce sont les éditeurs qui font appel à des traducteurs. En fait, je passais mon master à Paris VII et pour mon mémoire il fallait que je traduise un long extrait, d’une centaine de pages, d’un roman inédit en français. Trouver un bouquin n’était pas évident, c’est une amie dans le métier, et je lui en suis redevable, qui m’a conseillé ce livre, un roman grand public. Puis c’est une tutrice pour mon master qui m’a poussée à proposer le bouquin à un éditeur car elle l’avait aimé, mais je n’avais que peu d’espoir car ce n’est pas la règle comme on l’a vu et j’avais peu de contacts dans le métier étant débutante.
Trouver un éditeur, ce n’est pas simple, car il s’agit d’un cercle assez fermé, très parisien et mon carnet de contacts était plutôt mince quand je me suis souvenue qu’on m’avait parlé de Daniel Arsand, écrivain et directeur de collection chez Phébus, dont j’avais gardé les coordonnées. Très gentiment, il m’a accordé une entrevue d’une demi-heure et j’avoue que je n’étais pas très optimiste, ne pensant pas m’en être très bien tirée. Je lui ai laissé le bouquin en anglais et mon début de traduction pour qu’il les lise. De très longs mois se sont écoulés, de temps à autre je recevais un email pour garder le contact, car de son côté il devait convaincre sa direction, et puis fin 2010, j’ai signé le contrat me donnant six mois pour terminer la traduction, la parution du roman étant programmée pour début 2012. Je pense qu’il a senti que j’étais sincère dans mon intérêt pour le livre, psychologiquement crédible, ni tout blanc ni tout noir, abordant un sujet sensible, l’inceste.
Nous allons maintenant aborder les questions plus techniques liées à la traduction et d’abord, doit-on aimer un roman pour pouvoir le traduire ?
Je vous rappelle que la règle veut que ce soit l’éditeur qui vous contacte, donc dans ces conditions il est souvent difficile de refuser une proposition. Néanmoins, je demande toujours à lire le livre avant de m’engager, il peut être trop difficile à traduire car trop spécialisé ou abordant des domaines trop pointus. Un éditeur m’avait proposé un roman anglais du XVIe siècle traitant de théologie, je l’ai refusé car il m’a paru trop difficile pour moi. De même, les éditions du Rocher m’avaient proposé un livre mais j’ai eu le tort de dire que le roman ne m’emballait pas, du coup je n’ai plus eu de nouvelles de leur part… J’étais débutante, depuis j’ai appris que les éditeurs sont susceptibles, qu’ils aiment qu’on les flatte et qu’on vante leurs bouquins. Mais d’un autre côté, dire qu’on aime un livre risque de vous cataloguer dans un genre qui n’est pas le vôtre et de ne recevoir que des propositions de cette catégorie ! Pour répondre à votre question, oui il est préférable d’aimer le livre que l’on traduit, et ce premier roman était idéal pour moi, il n’était pas trop difficile à traduire, pas d’un style trop daté, pas besoin de recherches historiques approfondies. De plus, il m’intéressait beaucoup avec un sujet méritant d’être proposé au public.
Venons-en à la traduction proprement dite. J’aimerais savoir comment vous procédez pour traduire un roman ?
Je lis le roman au moins deux fois, pour m’en imprégner. Ici, il s’agissait d’un roman facile, contemporain et sans difficultés particulières. Je n’ai donc pas eu à faire des recherches historiques ou lire d’autres romans de la même époque pour me mettre plus complètement dans l’ambiance. Même s’il y a toujours des recherches, ici elles étaient peu importantes.
Ensuite je fais un premier jet de traduction. Mais je ne traduis pas tout l’ouvrage d’un coup, je procède par parties. Et je laisse décanter avant d’y revenir. J’avance ainsi, une progression par paliers. Je dois dire que pour ce roman je n’avais pas de pression particulière, disposant de huit ou neuf mois pour réaliser mon travail. D’ailleurs, les éditeurs savent que la pression ne donne pas de bons résultats et qu’elle oblige à multiplier les corrections postérieures, donc à perdre du temps…
Personnellement, pour me relire, j’imprime tout sur papier car on y voit mieux les défauts. Mais on peut se relire cent fois, à chaque fois on trouve de nouvelles choses à modifier et l’un des principaux « problèmes » dans notre métier, c’est de savoir s’arrêter.
Je suppose que votre traduction est revue ou contrôlée par un œil extérieur ?
Tout à fait. La traduction est supervisée par deux relectrices en général, une au minimum, on réduit les coûts dans ce secteur aussi. Elles corrigent, comme pour des copies d’élèves, avec des marques de corrections ou des suggestions de traduction. Dans ce cas il y a dialogue, il faut justifier son choix de traduction et en général j’ai le dernier mot ! Il s’agit d’un dialogue constructif mais où il ne faut pas discuter sur tout et indéfiniment non plus.
Comment procèdent les relectrices ?
Elles relisent le texte français et se réfèrent à l’anglais quand ça « accroche », en fonction de ce qu’on pourrait appeler leur « sixième sens », leur expérience. Je ne sais pas trop exactement comment elles procèdent et sachant que nous sommes dans le domaine du subjectif, autant de correcteurs que d’avis différents ! Dans mon cas, certainement que la première relectrice s’est appuyée sur le texte anglais et la seconde sur le texte français. Elles ne comparent pas les deux versions en parallèle, mot à mot.
La vraie question qui me turlupine depuis toujours quand je lis un roman traduit, entre le mot juste et la sensation exacte, que choisit le traducteur ? Un mot anglais peut être traduit précisément par son équivalent en français, mais si le sens général peut-être mieux rendu en français avec un autre mot ?
C’est une très bonne question. Entre le mot juste et la sensation exacte, je privilégie la sensation d’abord, l’impression qu’on va produire sur le lecteur. Ce n’est pas évident mais il faut rester le plus proche du texte sans être jamais littéral. Jamais. Il faut savoir gérer la distance, savoir s’éloigner du texte original strictement parlant tout en restant le plus près possible de l’’esprit et de la sensation voulue par l’écrivain. Et il faut éviter à tout prix que le lecteur se pose la question ou s’interroge sur un passage de la traduction pendant qu’il lit.
Je m’interroge aussi sur ce genre de situation, l’écrivain a écrit son roman dans une langue tout à fait correcte mais incidemment, quelques phrases disséminées dans l’ouvrage, sont mal tournées grammaticalement parlant. Quelle est la position du traducteur, corriger ou transcrire tel quel ?
Bien entendu on parle d’erreur involontaire de la part de l’écrivain et non d’un effet recherché pour être en adéquation avec le contexte. Dans ce cas, oui on corrige la phrase mal tournée, ça rend service à l’écrivain.
Mais est-ce le rôle du traducteur de rendre service à l’écrivain ?
C’est encore une bonne question, mais qui doit être posée à l’éditeur car elle dépend de la politique éditoriale de la maison. Le plus souvent l’éditeur veut que ce soit le mieux lisible pour le lecteur français. Dans le cas de littérature grand public nous avons licence pour réarranger quand la phrase est maladroite involontairement. Par contre, pour les grands textes et les grands écrivains de renommée, les traductions sont plus pointilleuses, mais il s’agit aussi d’un autre niveau de littérature.
Quand je lis certains bouquins je me demande toujours si l’écrivain écrit réellement aussi bien que ce qu’en rend la version en français.
Aujourd’hui globalement, les traductions ont gagné en qualité. Régulièrement on voit paraître des retraductions de grands textes, ou de classiques de la littérature, mais pour autant d’un autre côté, ce n’est pas parce que c’est plus récent que c’est mieux…
Quand vous traduisez un livre, vous le faites à partir de quel support (livre original, feuilles volantes etc.) et de quels outils vous servez-vous en dehors de votre connaissance de la langue ?
En général le livre fourni est en format PDF ou feuilles volantes ou bien le livre original. Le roman que j’ai traduit, je l’avais acheté par moi-même mais c’est un cas particulier.
J’utilise le dictionnaire Robert & Collins mais pas tant que cela car il est moins souvent mis à jour, les recherches sur Internet pour vérifier si un terme est usité en français. Je me réfère à des sites comme Termium un dictionnaire en ligne, et d’autres du même type.
Vous contactez aussi l’auteur, je suppose ?
Effectivement, pour le roman que j’ai traduit, j’ai contacté l’écrivain pour une douzaine de questions afin qu’elle précise sa pensée et que je cerne mieux son intention. L’intention est primordiale par rapport au texte, je le redis. Je dois préciser qu’elle a été très sympa pour répondre immédiatement avec beaucoup de gentillesse.
En tant que traductrice, vous sentez-vous concernée par le succès ou le bide commercial de l’ouvrage sur lequel vous avez travaillé ?
Je m’associe au bide comme au succès car c’est ma traduction qui est lue par le public. Je ne suis pas l’auteur du roman mais l’auteur « second », responsable de la traduction. Pour ce roman comme je lai déjà dit, la situation est très particulière puisque en plus de le traduire, c’est moi qui l’ai introduit en France, donc je suis contente d’avoir fait connaître cette écrivaine chez nous et heureuse car le bouquin a bien marché ici. Je prends ma part du compliment reçu du public.
Est-ce que, d’une certaine manière, traducteur et écrivain font le même métier ?
On ne peut certainement pas dire les choses ainsi, mais je pense qu’ils ont des points en commun. Dans le style ou la recherche de l’expression juste, par contre ils n’ont pas la même part de créativité. Pour le traducteur qui a plusieurs choix de traductions il lui faut choisir la meilleure, c’est sa part de créativité, car il y met du sien. Mais il n’a pas inventé l’histoire c’est certain… Le traducteur étant au plus proche de l’écriture, il fait donc un peu un travail d’écrivain, d’ailleurs j’écris de petits textes ou nouvelles, j’aime l’écriture et j’ai toujours écrit, c’est mon hobby, mon jardin secret. J’ai choisi le métier de traducteur pour cela aussi.
En écrivant vous-même, vous pouvez mieux comprendre le travail de l’écrivain, par l’intérieur en quelque sorte ?
Oui, tout à fait.
Avant de conclure, j’aimerais aborder la question de la rémunération. Comment la profession est-elle rémunérée ?
Il faut compter aux alentours de 20 ou 21 euros le feuillet de 1500 signes. Par contre pour des langues plus rares, comme le japonais ou le finnois, ce sera de l’ordre de 26 euros. A ce fixe peut s’ajouter un pourcentage sur les ventes. Récemment, un éditeur me l’a proposé de lui-même alors que jusqu’alors il ne le faisait pas, j’en déduis que cela se développe grâce à l’action de l’Association des traducteurs littéraires, un organisme de protection de notre métier. Ce pourcentage est de l’ordre de 1% mais c’est négociable bien entendu.
Dernière question avant de nous quitter, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Actuellement je traduis un essai qui traite de la nature et des sciences pour la jeunesse et les adolescents qui est écrit par un collectif et dont nous sommes trois traducteurs à nous partager la traduction. Je ne sais pas sous quel titre il sortira en France, car le titre est toujours du domaine de l’éditeur et plus certainement de son service marketing.
Enfin, si vous me permettez un dernier mot, j’aimerais conclure sur cette citation de Paul Valéry que j’aime beaucoup, « La traduction, c’est créer de la gêne au plus près de la grâce. »
2 commentaires
Je suppose que j'avais lu ce billet, car le thème m'intéresse. Cette fois, pas de nom, mais ce n'est pas grave, finalement, cela contribue à faire connaître un métier, j'espère que la personne n'en prendra pas ombrage.
N'étant pas citée... ça serait mal venu....?
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