Tanizaki : Le Goût des orties
02/12/2016
Junichirô Tanizaki (1886-1965) est un écrivain japonais. Etudiant à l'université de Tokyo, il publie en 1910 Le tatouage, une nouvelle qui lui apporte une célébrité immédiate. Il s'engage alors dans la voie littéraire, publiant de nombreux récits qui s'inspirent souvent d'un Occident et d'une Chine exotiques – jusqu'au grand séisme qui secouera Tokyo en 1923. Tanizaki quitte alors la capitale pour la région de Kyoto et Osaka et, après avoir publié Un amour insensé (1924) qui signe la fin de cette première période, il opte pour un retour aux sources japonaises. L’écrivain laisse une œuvre unanimement considérée comme l'une des plus importantes du XXe siècle japonais.
Le Goût des orties, publié en 1928 a fait l’objet d’une première parution chez nous en 1959 avant de se retrouver au cœur d’un des deux volumes de La Pléiade consacrés à cet immense écrivain.
Kaname et son épouse Misako ne sont plus un couple que de nom. Misako s’est pris un amant, Aso, et Kaname a ses habitudes avec Louise, une prostituée d’origine européenne. Rien n’est secret dans leurs relations, les deux époux s’organisent au mieux pour vivre la situation afin de ne pas perturber leur jeune fils Hiroshi. Tous deux voudraient divorcer mais ils ne trouvent pas le courage de rompre définitivement, « nous sommes incapables, Misako et moi, de choisir entre le chagrin d’un moment, et la douleur d’une vie entière ». Leur ami commun, Takanatsu, tentera de leur apporter son aide et de son côté, le père de Misako, un vieil homme vivant en concubinage avec O-Hisa - une jeunette -, essaiera de dissuader sa fille de divorcer.
Autour de cette trame, proche de la vie personnelle de l’écrivain en grande difficulté conjugale ce qui l’amènera à divorcer de sa femme deux ans plus tard, Tanizaki peint le paysage d’un monde qui change. Si les deux époux sont ce que nous pourrons appeler des Japonais modernes, le père de Misako, reste lui, très attaché aux coutumes et traditions du Japon d’hier. Nous découvrons ainsi l’art des marionnettes, un spectacle très prisé alors avec ses artistes vedettes, leurs techniques de jeu, les théâtres où se déroulent ces évènements et les habitudes des spectateurs apportant leur repas… Outre l’aspect instructif de ces longues pages sur cet art, on peut peut-être y voir aussi une mise en abîme, les marionnettes/poupées du théâtre faisant écho au couple qui se débat avec son problème comme deux pantins victimes de leur mauvais karma ?
Sans non plus que cela saute aux yeux, le lecteur appréciera l’érotisme discret suintant entre les lignes, les rapports homme/femme, du couple marié et légitime, du couple moins conventionnel entre le vieil homme et sa très jeune concubine sans oublier ceux formés par le mari et sa prostitué favorite ainsi que celui de la femme et de son amant. Tout ce beau monde tentant par-dessus tout à sauver les apparences vis-à-vis du monde extérieur.
Opposition entre le Japon d’hier et d’aujourd’hui (celui de 1928) mais sans trace de nostalgie aucune de la part de Junichirô Tanizaki, ce qui rend encore plus intéressant ce roman. Le lecteur se plongera dans ce livre sans retenue, se délectant de son effet apaisant dû à son écriture car il faut bien le dire et le redire, comme l’apnéiste obligé de remonter à la surface tôt ou tard, le lecteur se doit de revenir vers les classiques et les textes bien écrits pour se refaire une santé.
« Il est toujours mélancolique de se quitter ; quelque soit celui que l’on abandonne, il existe une tristesse inhérente à la séparation. Takanatsu ne se trompait guère en prétendant que si l’on attend passivement son heure, celle-ci ne se présente jamais. Il n’avait, lui, montré aucune des hésitations de Kaname pour divorcer. Ayant appelé sa femme dans sa chambre un beau matin, après avoir arrêté sa décision, il lui avait expliqué ses raisons en détail jusqu’au soir. Puis, pour mieux jouir de leurs regrets et de leurs derniers moments, ils avaient passé la nuit à pleurer dans les bras l’un de l’autre. Selon ses propres paroles : « J’ai gémi, j’ai pleuré, elle a pleuré… » »
Tanizaki Le Goût des orties Gallimard La Pléiade Œuvres Tome 1 - 126 pages –
Traduction par Sylvie Regnault-Gatier et Kazuo Anzai
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