Natsume Sôseki : Et puis
09/02/2017
L’écrivain japonais Natsume Sôseki (Pseudonyme pour Kinnosuke Natsume) est né en 1867 et mort en 1916. Spécialisé en littérature anglaise, il commença par enseigner. De 1900 à 1903, il vécut en Angleterre, puis, de retour dans son pays natal, Sôseki succéda à Lafcadio Hearn à la chaire de littérature anglaise de l'université de Tokyo.
Le roman Et puis, date de 1909 et c’est une relecture pour moi. Pourquoi le relire ? Parce que c’est aujourd’hui 9 février la date anniversaire de la naissance de l’écrivain, pourquoi pas ? Parce que c’est le mois Sôseki, selon un challenge ouvert entre bloggeurs, pas faux non plus. Mais surtout pour vérifier si le bon souvenir que j’en avais tenait toujours la route, d’autant que deux autres livres lus ensuite (chroniqués ici, je vous laisse chercher) m’avaient moins convaincu.
Nous sommes au début du XXe siècle, le Japon hésite entre anciennes valeurs et traditions, et montée en puissance du capitalisme synonyme de modernité parée des atours de l'Occident. Daisuké, le héros du roman, est un trentenaire célibataire, entretenu par un père aisé qui le presse de se marier et de se trouver un métier. Après avoir repoussé toutes les propositions par principe, Daisuké réalise qu’il aime Michiyo, femme de son meilleur ami…
D’un côté il y a le vieux père qui campe sur ses positions, représentant de l’ordre ancien, du Japon traditionnel et de ses traditions séculaires, rigide et droit dans ses bottes. De l’autre, Daisuké, l’un de ses fils, est un dandy inactif, intellectualisant tous ses actes et pensées, porté sur l’esthétisme, vivant dans son monde loin des contingences de la vie. Lui aussi s’est fixé des règles morales basées sur son analyse de la société : s’il ne travaille pas c’est qu’il estime que cette activité qui n’a pour unique but que de gagner de l’argent souille l’homme, et devant ce qu’il considère comme une faiblesse de son pays – les relations déplorables entre Japon et Occident, l’un ne pouvant vivre qu’en empruntant de l’argent à l’autre – il en déduit « Tels que se présentent les temps actuels, mieux vaut que je reste dans mon coin. »
Analyse politique induisant des règles comportementales, Daisuké fait un pas de côté et s’exclut du jeu. Ses réflexions le poussent plus loin en s’interrogeant sur le rôle/place de l’homme dans le monde, « Selon son opinion, en effet, les hommes n’étaient pas nés pour exécuter un but particulier » et d’ailleurs quel est le but de la vie, a-t-elle un sens ? Partagé entre sa vision/philosophie du monde et les impératifs de la vie quotidienne, « il s’astreignait donc à maintenir à un niveau très bas ses appétits vitaux et à s’en satisfaire. » Vous imaginez bien que le mariage n’entre pas dans ce genre de raisonnement… d’où ses refus systématiques aux propositions paternelles.
Et puis vint le temps où à son corps défendant, il commence à réaliser qu’il aime une femme – Michiyo - qu’il connaît depuis longtemps et qu’il a lui-même encouragée à épouser son meilleur ami il y a trois ans. Michiyo qui s’avère malheureuse en ménage, Michiyo qui s’ennuie et qui prend plaisir à voir Daisuké. Cette seule situation, innocente de nos jours, est un crime d’honneur dans le Japon d’alors ; honneur bafoué du mari mais aussi pour la famille de Daisuké. Je vous laisse découvrir comment tout cela se termine car Daisuké va devoir prendre une décision…
Certes, il faut apprécier la littérature japonaise, qui plus est quand elle date de plus d’un siècle, car ici nous sommes dans la lente analyse psychologique, où le moindre geste ou pensée prend une importance qui n’est plus de règle aujourd’hui. Mais l’écriture admirable de finesse et d’élégance devrait satisfaire les plus difficiles à convaincre, et le destin des deux amants virtuels touchera les cœurs les plus endurcis. J’ai donc la réponse à la question que je me posais en ouvrant à nouveau ce livre : mon bon souvenir n’était pas erroné, c’est un excellent roman !
« Le vieil homme s’était lancé : « L’homme ne doit pas penser seulement à son propre intérêt. Il y a la société. Il y a le pays. On se sent forcément mal si l’on n’accomplit pas au moins quelques actions pour les autres. Et toi, justement, en restant comme tu le fais, oisif et sans but, tu ne peux certainement pas te sentir bien. Je ne dis pas, s’il s’agissait de quelqu’un issu d’une basse classe sociale, qui n’aurait pas été éduqué… mais quelle raison aurait un homme qui a reçu la plus haute éducation à se complaire à l’inaction… ? Car ce que l’on a étudié ne prend son sens qu’à partir du moment où on l’applique à la réalité. »
Natsume Sôseki Et puis Le Serpent à Plumes – 397 pages –
Traduit du japonais par Hélène Morita avec la collaboration de Yôko Miyamoto
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