Andrus Kivirähk : L’Homme qui savait la langue des serpents
02/06/2017
Andrus Kivirähk, né en 1970 à Tallinn en Estonie, est un romancier, nouvelliste et auteur de livres pour enfants, chroniqueur, dramaturge et scénariste. Kivirähk commence à écrire pour les journaux à l'âge de 15 ans avant de devenir journaliste professionnel. Ecrivain très prolifique et novateur, il est considéré comme l'un des plus fascinants jeunes écrivains estoniens. L’Homme qui savait la langue des serpents est paru en 2013.
Au Moyen Âge, dans une Estonie imaginaire. Leemet, le narrateur, est un jeune garçon qui vit avec sa famille et les gens de sa tribu dans la forêt. Leur caractéristique principale est de parler la langue des serpents, un pouvoir qui permet de communiquer et surtout de se faire obéir de tous les animaux. C’est bien pratique quand on va à la chasse ! Cet Eden devient menacé quand la région est envahie par des chevaliers Teutons et christianisés. Dès lors, soit on va vivre au village, travailler la terre et manger du pain, soit on reste dans la forêt à glander et manger de la viande.
Voici très rapidement résumé la base de départ de ce roman qui s’étend sur toute la durée de la vie de Leemet et qui recèle d’innombrables épisodes abracadabrants. Abracadabrants mais qui s’expliquent très bien car il s’agit d’un conte inspiré des légendes nordiques, avec sorcellerie et magie, d’où ces situations improbables mais particulièrement réjouissantes que je vous laisse découvrir. Mais ce n’est pas tout ! S’il n’y avait que cela, ce serait seulement un bon roman.
Le livre a en fait trois niveaux de lectures : le conte, nous venons d’en parler, il est riche en péripéties et rebondissements drôles ou non, c’est un régal de lecture. La seconde couche, c’est la métaphore, ou l’allégorie qui permet à l’écrivain d’opposer deux visions du monde, les anciens qui veulent conserver leurs traditions et mode de vie ancestral dans la forêt et les modernes qui vivent au village, travaillent la terre, sont mieux habillés et tournés vers l’avenir. Enfin, le troisième niveau qui pourrait être que les anciens sont des résistants et les modernes des soumis aux envahisseurs teutons… et là nous sommes dans le pamphlet politique, un niveau qui m’est passé, en partie, au-dessus de la tête – mais heureusement révélé par la postface très éclairante du traducteur – se référant à l’histoire de l’Estonie que j’avoue ne pas bien connaître, ce qui donne toute sa saveur à cette « langue des serpents » masque derrière lequel se cache en vérité l’estonien, langage identitaire du pays en lutte avec les russophones.
Un roman particulièrement riche comme vous le voyez, dont on pourrait parler pendant des heures ! Pour faire court, ne perdez pas votre temps à me lire mais foncez directement sur ce livre, vous allez vous régaler car même si vous vous contentez du premier niveau de lecture, il est réellement épatant, plein de trouvailles et surprises avec de l’amour, des haines, des bagarres et des morts, des voyages, des personnages mémorables, des réflexions philosophiques, des trucs et des machins…. C’est écrit très simplement et le ton général ne manque pas d’humour. En plus vous pourrez frimer auprès de vos connaissances en déclarant lire un écrivain estonien… !
« J’ai cessé de m’attrister de n’avoir personne à qui transmettre la langue des serpents. Au contraire, j’en ressens une joie mauvaise. Qu’elles vivent donc sans les mots des serpents, ces générations futures que je ne verrai pas et que je ne veux pas voir, ces stupides et misérables insectes ! Je ne les envie pas. Eux, bien sûr, ils ne peuvent pas regretter leur ignorance, ils ne savent pas ce qu’ils ont perdu – mais moi, je sais. Et je sais encore bien d’autres choses dont les générations imbéciles qui viendront après moi n’auront plus la moindre idée. »
Andrus Kivirähk L’Homme qui savait la langue des serpents Editions Attila – 422 pages –
Traduit de l’estonien par Pierre Minaudier
6 commentaires
Une lecture dont je garde un souvenir très fort !!!
J’attendais un bon roman au vu de l’accueil favorable de la critique unanime, mais après lecture ça dépasse mes espérances… ! Et tout comme toi j’en garde un souvenir fort.
Spécial (et merci au traducteur postfaceur) mais à découvrir!
« Spécial » ???? Sachant qu’il s’agit d’un conte, on y trouve les mêmes étonnantes aventures que dans toutes les mythologies et sagas ancestrales… Quant à la postface du traducteur, j’en parle dans mon billet, mais vous avez raison de le dire, il faut en saluer son grand intérêt. Personnellement, je conseillerais de la lire une première fois avant le roman et une seconde fois, après. C’est ce que j’ai fait et ça permet d’avancer dans la lecture tout en suivant les différents niveaux d’interprétation.
J'ai adoré ! C'est un livre plein d'inventivité, drôle mais aussi poignant, et enchanteur... vraiment enthousiasmant !
C’est totalement vrai. On manque de qualificatifs pour en dire tout le bien qu’on en pense et j’insiste lourdement en conseillant à tous de lire de roman. IL FAUT LIRE CE BOUQUIN !!!
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