Paul Beatty : Slumberland
14/06/2017
Paul Beatty, né en 1962 à Los Angeles, est un écrivain afro-américain. Diplômé d'un Master of Fine Arts du Brooklyn College en écriture créative, il a également obtenu une maîtrise en psychologie à l'université de Boston. En 1990, il est couronné Grand champion de slam du café des poètes de Nuyoricana et gagne à cette occasion un contrat d'édition pour la publication de son premier recueil de poésie, Big Bank Takes Little Banka. Slumberland, roman paru initialement en 2009, vient tout juste d’être réédité.
Si vous n’avez encore pas lu cet écrivain, il serait temps de vous y mettre. American Prophet (2013) et Moi contre les Etats-Unis d’Amérique (2015) m’ont largement convaincu du talent de Paul Beatty.
Ferguson Sowell, le narrateur afro-américain, bien qu’ayant obtenu une excellente note à l’examen d’entrée à UCLA n’est pas jugé digne de suivre les cours du programme d’aérospatiale et se voit aiguillé vers une Académie de musique. Doté d’une mémoire phonographique exceptionnelle lui « permettant de répliquer parfaitement n’importe quel morceau de musique », il créé un beat parfait (« la confluence de la mélodie et du groove qui transcende l’humeur et le temps ») mais pour qu’il soit certifié comme tel, il doit obtenir l’aval de Charles Stone (dit le Schwa), un musicien génial ayant disparu de la circulation. Un maigre indice l’envoie à Berlin, faire le DJ dans un bar, Le Slumberland, pour rechercher cet homme, cette légende. Le Berlin de l’époque de la chute du Mur…
Dès la première page – comme toujours avec l’écrivain – c’est la claque et j’ai toujours cette image qui me vient en tête, la petite plaque métallique vissée sous la fenêtre des wagons de train de mon enfance, où l’on pouvait lire cette phrase magique « E pericoloso sporgersi » avertissant du danger potentiel à ouvrir la fenêtre. Car ouvrir un bouquin de Paul Beatty, c’est comme ouvrir la fenêtre du train en marche pour y passer la tête, on en prend plein la gueule !
Des phrases comme des torrents en crue, une débauche de vocabulaire, une multitude de références culturelles touchant à tous les genres, une inventivité narrative peu banale, bref le lecteur est immédiatement happé dans l’univers délirant de l’écrivain. Soit il suit tant bien que mal, accordant sa confiance aveugle, soit il abandonne, sort du jeu… et rate un grand moment de littérature.
Je ne développe pas plus l’intrigue, elle est trop fournie, trop folle. Quelques indices néanmoins, nous sommes dans le Berlin qui va voir le Mur s’écrouler et il y a un agent de la Stasi se livrant des activités choquantes avec une poule… Chut ! Je ne vous en dis pas plus.
Toujours très drôle, maniant toutes les formes de l’humour : noir, corrosif, se moquant du politiquement correct, ça balance pas mal chez Betty, le racisme, les Juifs, les Blacks, les Allemands de l’Ouest ou de l’Est mais aussi le vivre ensemble. Et bien que le roman se déroule à Berlin, on ne peut s’empêcher de voir le narrateur comme un double de l’écrivain, le premier à la recherche du beat et du Schwa prétextes à décrire cette Amérique que peint le second : « Mais en découvrant ce beat l’autre soir (…) J’entends l’Amérique. »
Le roman est excellent, même s’il est nettement moins puissant que les deux autres mais par contre il est plus facile à lire. Et je dois préciser pour les éventuels futurs lecteurs, que baignant dans la musique (jazz, blues, funk, pop, rock …) un minimum de connaissances en la matière me semble nécessaire pour en apprécier les moindres références, allusions et piques car Paul Beatty en connait un sacré rayon !
« Slumberland. J’avais beau placer mes doigts bien serrés autour des yeux, je n’arrivais pas à voir l’intérieur du bar. Une lumière rouge vaporeuse filtrait à travers les stores en bambou toujours tirés. La vitre vibrait avec le murmure de la conversation bruyante et de la musique reggae. A en juger par le tremblement de la vitre, je supposai que a chanson était une de mes ballades préférées, « On and On » d’Aswad, une reprise profondément respectueuse du tube easy-listening de Stephen Bishop. J’entrai dans le bar. Et effectivement, c’était « On and On » qui passait ; j’étais plus que content de moi. J’avais l’impression d’être un super héros venant de découvrir ses pouvoirs. Ma capacité à identifier une chanson à la façon dont sa rythmique faisait trembler les carreaux ne sauverait pas le monde d’une invasion extraterrestre ou d’un météore fugitif, mais je pouvais envisager de remporter quelques paris dans les bistrots. »
Paul Beatty Slumberland Editions Cambourakis – 279 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
« « Stolen Moment » est le titre phare d’Oliver Nelson, la chanson idéale, selon moi, pour installer une atmosphère ; c’est un standard du jazz à servir en apéritif. (…) Je sus immédiatement que « Stolen Moment » serait le morceau fétiche du Slumberland… » (p.101-102)
2 commentaires
Je suis fan, et c'est à la bibli, donc pas de souci!(j'ai lu les deux autres)
Parfait....!
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