Louis Guilloux : Le Pain des rêves
20/11/2017
Louis Guilloux (1899-1980) journaliste, natif de Saint-Brieuc, publie son premier roman en 1927 et en 1935 Le Sang noir rate de peu le prix Goncourt (raflé par Joseph Peyré avec Sang et Lumière). Ses convictions humanistes le conduiront à devenir secrétaire du 1er Congrès mondial des écrivains antifascistes et responsable du Secours Populaire. Le Pain des rêves date de 1942.
Peu avant 1914 dans une petite ville de Bretagne. Le narrateur, un jeune enfant d’une dizaine d’années, vit dans une ancienne écurie avec sa mère Mado, son grand-père paternel et ses frères. Le père ayant abandonné femme et enfants, le grand-père fait survivre la maisonnée grâce à son métier de tailleur ou plutôt ravaudeur. Un des frères du narrateur, marin au long cours, n’est jamais là tandis que Pélo, le cadet estropié, végète dans un fauteuil. Dans ce monde de pauvreté, débarque la cousine Zabelle, venue de Toulon avec son mari, son amant, son clebs adoré… et tout va changer… !
En partie autobiographique, le roman est en deux parties. La première retrace les conditions de vie de la famille du narrateur, la seconde voit entrer en scène un personnage exubérant, la cousine Zabelle. De l’ombre à la lumière, mais toujours avec le regard d’un enfant, ce qui nous vaut un roman initiatique.
Dans cette première partie, si le lecteur adulte devine la grande détresse matérielle des protagonistes, celle-ci se trouve adoucie par le regard innocent que porte sur elle l’enfant, d’autant qu’il est un peu rêveur aux dires de son instituteur. Par contre son étonnement est grand : portraits saisissants des gens peuplant son quartier et la rue du Tonneau à la triste réputation locale, comme ce Durtail, le tonnelier qui voudrait être marin. A moins que ce ne soit de l’émerveillement devant la procession religieuse ou plus encore avec la parade du cirque ambulant (seule la parade est gratuite)… Et si l’école apporte ses moments difficiles, engueulades du maître, elle sait aussi offrir des heures enchantées.
La seconde partie, plus solaire, explose d’agitation et de surprises renouvelées avec cette Zabelle, une cousine éloignée et inconnue de l’enfant qui débarque en fanfare dans l’univers morose de nos Bretons. Avec sa petite troupe (mari, amant, chien) docile et entièrement à sa botte, elle va régenter la vie de Mado et de son fils, qui entretemps ont vu leurs conditions de vie s’améliorer un peu grâce aux bonnes œuvres d’une comtesse.
Si le roman s’achève sur une fin un peu abrupte, il n’en reste pas moins magnifique à tout point de vue. L’écriture est superbe sans être datée, ce que certains pourraient craindre au regard de sa date de parution. Mais on en retiendra surtout, l’empathie profonde de l’écrivain pour tous ses personnages, un quasi amour pour ces pauvres gens, sans jamais tomber dans le pathos dégoulinant de mièvrerie. Jamais Guilloux ne cherche à tirer une larme au lecteur, au contraire, par le biais du regard d’un enfant, il réussit à rendre la misère heureuse – si j’ose dire – car elle n’est pour lui que source d’étonnement.
Un très beau roman que j’invite tout le monde à lire.
« Quelqu’un heurtait une chaise, et dans l’instant, la lampe s’allumait. Je comprenais que ma mère s’était levée sans rien dire, qu’elle avait trouvé et remis au grand-père les allumettes, puis, s’était recouchée bien vite. Car il ne lui était pas permis d’allumer elle-même la lampe. Seul, mon grand-père avait ce droit. C’était sa lampe, elle était sacrée. La lampe de ses veillées, et des veillées de son père avant lui. Tout autant que de l’horloge il en prenait un soin pieux, mais comme si, plus encore que de la tenir en bon état, il avait dû la défendre contre les autres, c'est-à-dire contre nous-mêmes. »
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