Philip Roth : Ma vie d’homme
08/01/2018
Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Ma vie d’homme, qui date de 1974, est le premier roman où apparait Nathan Zuckerman.
Le roman est découpé en deux parties, la première et la plus courte, Fictions utiles, s’attarde sur l’enfance et les premiers émois sexuels de Nathan Zuckerman. Dans la seconde partie, Ma véritable histoire, l’écrivain en vient au but de ce livre, raconter le calvaire que fut son premier mariage.
Il y a des romans, comme celui-ci, qui ne peuvent être lus sans un mode d’emploi en annexe, sinon, le livre ressemblerait à du grand n’importe quoi. Heureusement elles sont richement fournies dans cette édition, la principale à connaitre étant le catastrophique mariage de Philip Roth avec Margaret Martinson (1959-1963), ce roman lui ayant servi « à se décontaminer de la rage dont son désastreux premier mariage l’avait rempli. » Le mot « rage » résume parfaitement le sentiment que le lecteur sent sourdre sous la plume de Roth et explique les extravagances qu’il va lire.
La construction du roman est particulièrement roublarde. Philip Roth crée un héros du nom de Peter Ternapol, écrivain lui aussi, dont le propre héros est un certain Nathan Zuckerman ! La première partie du roman court ainsi, comme un petit train à trois wagons (ou pour les plus anciens, la fameuse publicité pour les peintures Ripolin). Dans la seconde, comme il s’agit de « ma véritable histoire », Ternapol abandonne Zuckerman pour se confesser, ce qui revient à dire que Roth parle, en direct, par la voix de Ternapol et cette fois nous avons droit à un numéro de ventriloquie. On peut aussi dire que dans la première partie, Roth tente de traiter son sujet (ce cuisant échec marital avec une femme hystérique) de manière très littéraire mais que n’y parvenant pas de façon satisfaisante, il utilise une autre technique, abat le masque de Zuckerman, ne conservant que Terapol, son double, pour déballer sa rancœur.
Et là nous sommes dans un délire hallucinant. Violence, bruit, fureur, amour, haine, mensonges… La femme de Roth dans la vraie vie devient Maureen, l’épouse de Ternapol dans le roman, pour un récit qui serait grotesque si la véracité de nombreux points n’était confirmée par la notice explicative : citons l’achat d’urine à une femme enceinte par Maureen afin d’obliger, par chantage, Ternapol à l’épouser… Le vrai et le faux (du moins je l’espère ?) se mêlent, les extravagances sexuelles se succèdent au point qu’on en rit tant elles sont énormes, allant du crapoteux (scène scato) au comique grotesque (scène de l’ouvre-boite dans le taxi). J’ai parlé de vrai et de faux mais il est difficile de faire le tri, car nous avons aussi la version des faits donnée par Maureen ainsi que l’interprétation du docteur Spielvogel, psychanalyste de Ternapol. Il aurait été étonnant qu’un psy ne se montre pas dans cette histoire abracadabrante. Cependant il ne faudrait pas croire que ce roman n’est qu’une franche rigolade car dans le roman comme dans la vraie vie, Maureen/Margaret se suicide. Glups !
Jeux de miroirs ou mise en abyme, Roth maîtrise déjà son art, et s’ingénie à surfer sur la ligne de crête étroite entre cet art (la fiction de l’écrivain) et la vraie vie (la confession) étendant son propos, du personnel au général : les relations conflictuelles entre hommes et femmes, l’inanité du mariage etc. tous sujets qu’il continuera par la suite à aborder dans son œuvre.
« Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un jeune bourgeois de ma génération, ayant fait des études supérieures et trouvant ridicule l’idée de se marier, et ne demandant pas mieux que de se nourrir de conserves et de manger dans des cafétérias, de balayer son plancher, de faire son lit et d’aller et venir libre de tout lien légal, nouant des amitiés féminines et s’offrant des aventures sexuelles où et quand il pouvait et pour le temps qu’il lui plaisait, se vît taxer d’ « immaturité », voire d’homosexualité « latente » ou évidente. Ou alors c’était un fieffé « égoïste ». Ou alors il avait « peur des responsabilités ». Ou alors il n’était pas capable de « s’engager dans une relation durable » (très jolie, cette expression toute faite). Le pire, le plus honteux de tout étant que celui qui se croyait parfaitement apte à prendre tout seul soin de lui était probablement, en réalité, « incapable d’aimer ». »
Philip Roth Ma vie d’homme Gallimard La Pléiade Romans et nouvelles 1959-1977 – 334 pages -
Traduction française par Georges Magnane revue par Aurélie Guillain pour cette édition
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