Philippe Claudel : Les Âmes grises
19/03/2018
Philippe Claudel est un écrivain et réalisateur français, né en 1962 à Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe et Moselle). Après l'obtention de son baccalauréat en 1981, il mène une vie dissolue pendant deux années, s'inscrivant à l'université de Nancy mais ne la fréquentant guère, passant son temps à écrire des poèmes, des scénarios, à jouer dans de nombreux courts métrages, à créer deux radios libres avec des amis et à pratiquer intensivement l'alpinisme. En 1983 c’est sa femme qui l'incite à reprendre ses études. Il passe une licence de lettres modernes, ainsi qu'une licence d'histoire de l'art et un DEUG d'histoire et géographie. Par la suite, il passe et obtient le CAPES de lettres modernes, puis l'agrégation de lettres modernes. En 2001, il soutient une thèse de doctorat en littérature française. Membre de l'Académie Goncourt depuis 2012.
Son premier roman date de 1999 et Les Âmes grises, paru en 2003 reçoit le prix Renaudot la même année et le grand prix des lectrices de Elle en 2004. On notera que ce roman a été adapté au cinéma en 2004 par Yves Angelo (avec Jean-Pierre Marielle, Jacques Villeret, Marina Hands, Denis Podalydès).
Le roman se déroule durant les années de la Grande Guerre (1914-1918) dans un village proche de Verdun et du front. Une fillette d’une dizaine d’années est retrouvée assassinée. Quelques années plus tard, un policier local, le narrateur, se souvient de « l’Affaire ». Il connaissait de près ou de loin tous les protagonistes, inspecteur, procureur, juge, notables et gens ordinaires du village…
Quel magnifique roman ! Tout y est quasi parfait. L’écriture, intimement liée au récit, est très proche de celle des romans du début du XXème siècle, comme un hommage à ces écrivains d’antan. La construction, particulièrement rusée, capte le lecteur immédiatement : au début, on ne sait pas très bien qui est le narrateur, si ce n’est sa proximité avec tous ; des allers et retours dans le temps complexifient légèrement l’intrigue et des digressions sur les personnages secondaires ajoutent de l’épaisseur au texte. A ce propos, bien que le livre soit court sa lecture m’a semblée beaucoup plus longue que sa pagination ne le laisserait supposer (Remarque à ne pas prendre comme une critique, genre « c’est trop long », bien au contraire). Et puis Philippe Claudel joue sur l’ambiguïté permanente, entre ce que l’on ne sait pas, ce que l’on peut deviner ou imaginer et les rares faits avérés qui n’arrivent qu’au compte-goutte, attisant une sorte de suspense quant à la résolution de ce crime atroce. Si résolution il y a ?
Cette morte sert de fil rouge à l’écrivain pour décrire un monde épouvantable. Au loin mais si proche aussi, la guerre, terrible avec ses cadavres, ses déserteurs écœurés par la boucherie, ceux qui souffrent dans leurs chairs ou dans leur âme, ceux aussi qui profitent de la situation. Et au cœur de ce carnage, un petit village qui connait lui aussi ses morts locaux, la gamine assassinée puis plus tard le suicide d’une jeune institutrice. Le portrait des personnes concernées par l’enquête est épouvantable : les puissants (le juge et le colonel chargé de l’enquête) sont répugnants, les autres sont lâches ou faibles. Nul n’échappe au constat de l’auteur : « Rien n’est tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil. »
Un roman très fort, avec des scènes psychologiquement très dures qui font sortir le lecteur de ses gonds ou bien l’affligent jusqu’au plus profond de son cœur. Et ce dénouement, terrible, qui reste dans le ton du reste de l’ouvrage…
Un excellent roman.
« Il n’y a pas trente-six façons de résoudre un assassinat. Je n’en connais que deux : soit on arrête le coupable, soit on arrête quelqu’un qu’on dit être le coupable. L’une ou l’autre. Et le tour est joué. C’est pas plus compliqué que cela ! Dans les deux cas le résultat est le même pour la population. Le seul qui perd au change, c’est celui qui est arrêté, mais finalement, son avis, qui s’en soucie ? »
Philippe Claudel Les Âmes grises Le Livre de Poche – 280 pages –
4 commentaires
je viens de finir ce roman et je suis plus mitigée sur mon appréciation, je reproche surtout le caractère odieux et totalement sombre du juge , j'aime mieux les personnages "gris" justement . , Le dernier aveu m'a glacée et sans doute empêché de me sentir bien quand j'ai fini de le lire, j'étais contente d'abandonner ces personnages. Je sais que c'est un très bon roman, justement parce qu'il heurte ma sensibilité l'auteur a réussi son propos.
Vous avez parfaitement résumé le point fort de ce roman : « Je sais que c'est un très bon roman, justement parce qu'il heurte ma sensibilité l'auteur a réussi son propos ». C’est donc bien un excellent livre.
J'ai eu du mal avec ce roman que j'ai trouvé vraiment noir.
C’est vrai Valérie que ce roman est noir et dur. Mais comme le dit fort justement Luocine dans son commentaire : « Je sais que c'est un très bon roman, justement parce qu'il heurte ma sensibilité l'auteur a réussi son propos. » Et qu’un roman dérange, n’est-ce pas le propre de la grande littérature ?
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