Mischa Berlinski : Dieu ne tue personne en Haïti
15/05/2018
Mischa Berlinski, né en 1973 à New York, est un écrivain américain. Après des études de lettres classiques à Berkeley et à Columbia, il a travaillé comme journaliste freelance en Thaïlande avant de se consacrer à l’écriture. Depuis 2007, l’écrivain vit en Haïti. Dieu ne tue personne en Haïti, son second roman, vient de paraître.
Le lieu : à l’extrémité ouest de l’île, Jérémie, un petit village. Les personnages : Terry White, ex-adjoint au shérif en Floride, désormais agent de police pour l’ONU et sa femme, Kay. Johel Célestin, juge aimé de tous, et Nadia son épouse. Dans le rôle du narrateur, ou plutôt du témoin des évènements, un anonyme, écrivain de son état, qui pourrait être Mischa Berlinski. L’intrigue : Terry encourage son ami Johel à se présenter aux élections sénatoriales pour lancer la construction d’une route reliant leur région à la capitale Port-au-Prince, un débouché économique qui assurerait des revenus à la population locale. Mais l’adversaire, Maxime Bayard, sénateur en titre est un vieux roublard ne reculant devant rien pour imposer ses vues…
Voici résumé à gros traits ce roman très dense. Chez un autre, j’aurais critiqué l’épaisseur du bouquin, ici tout coule de source, car là réside le grand talent de Berlinski, il sait raconter une histoire, « à mon sens, une bonne histoire est la plus grande de toutes les inventions littéraires » fait-il dire à son narrateur. Alors ce qui semblerait digression, et elles sont nombreuses, est une porte ouverte sur des précisions venant enrichir le roman : le passé des protagonistes, des détails sur la vie et les coutumes des autochtones, de précieuses informations sur l’organisation logistique ou politique de l’ONU sur l’île etc. Mischa Berlinski connait le pays, donc si tout est inventé pour les besoins de son récit, tout reste crédible et fort bien documenté.
J’avoue être entré à petits pas dans le livre car je craignais un étalage de misère, telle qu’on nous la livre aux actualités à la télé. L’auteur ne fait pas dans ce genre-là, certes elle n’est pas absente, comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs quand on évoque Haïti ? Mais l’écriture et surtout le « ton » du roman, balaye, toutes les craintes. Tous les drames et les plus tragiques endurés par les locaux sont présents mais ça se lit sans épuiser la boite de mouchoirs en papier.
Lutte de pouvoir, combat politique, élections, fraudes et corruption, affrontement entre deux hommes Johel Célestin et Maxime Bayard a priori opposés, mais j’ai dit que le roman était dense, se construit sur un second plan, ce que j’appellerai de manière simplette, les relations sentimentales entre les couples. Rien de mièvre, au contraire, dur et touchant à la fois avec des parcours différents pour Terry et Kay, Johel et Nadia et pourquoi le cacher Terry et Nadia…. Une belle étude psychologique avec ses désirs, ses espoirs, ses déceptions et ses évolutions. Le roman s’achève sur une explosion – un séisme - qui rebattra les cartes entre les uns et les autres, du moins ceux qui survivront.
Un très bon roman, sans manichéisme, il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, chacun à un moment ou un autre, est l’un ou l’autre, sous le regard neutre du narrateur. Une lecture vivement recommandée.
« L’histoire que les habitants d’Anse-du-Clerc racontent pour justifier leurs malheurs est toujours une variation sur le même thème : la rancune conduit à la haine, la haine à la magie, la magie à la mort. Il existe un proverbe créole, « Pas gen mort Bondieu nan Haiti », qui signifie littéralement : « Dieu ne tue personne en Haïti », et, métaphoriquement, que personne n’y meurt de mort naturelle. Quand la souffrance semble dénuée de cause évidente, ils en inventent une, et la chose qui permet de passer de la cause à l’effet est le surnaturel. Quand on raisonne de cette manière, chaque mort est un meurtre, chaque infortune un crime ; et le monde s’éclaire alors d’une sorte d’affreuse logique meurtrière. C’est précisément le genre d’histoire que je vais vous raconter ici. »
Misha Berlinski Dieu ne tue personne en Haïti Albin Michel – 492 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Renaud Morin
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