Jaume Cabré : Voyage d’hiver
12/05/2018
Jaume Cabré i Fabré, né en 1947 à Barcelone, est un philologue, écrivain et scénariste espagnol d'expression catalane. Une œuvre multiforme faites de récits, romans, essais, théâtre, scénarios… récompensée par de nombreux prix. Voyage d’hiver, recueil de quatorze nouvelles, date de 2017.
Il m’est toujours difficile de chroniquer les recueils de nouvelles car chaque texte mériterait qu’on s’y attarde, ici plus qu’ailleurs. Je vais donc m’attacher à faire court : quelque soit l’angle sous lequel on envisage cet ouvrage, tout y est excellent. L’écriture est superbe, riche en références ou allusions culturelles ; les sujets des nouvelles sont divers et originaux et la construction globale du recueil, magistrale, tend des passerelles entre certains textes qui se complètent ainsi les uns, les autres.
Tous les textes, plus ou moins fortement, baignent dans une ambiance où la culture est reine : littéraire, musicale surtout (de Schubert à Sibelius en passant par King Crimson !) à moins que ce ne soit la peinture (Rembrandt par exemple) qui prenne la lumière. Quant aux thèmes, ils gravitent tous autour du Mal, sous toutes ses formes, de la simple escroquerie au meurtre.
Deux nouvelles m’ont particulièrement marqué. « Je me souviens », épouvantablement dure ; à Treblinka, le responsable SS du camp propose un marché à un père de famille, si l’un d’eux tue tous les autres, il aura la vie sauve… La dernière nouvelle du recueil, « Winterreise » est extrêmement émouvante ; à Vienne, après quelques semaines, deux amants doivent se séparer car la femme est déjà engagée avec un autre, ils se promettent de se retrouver « devant le tombeau de Schubert » dans vingt-cinq ans car « si nous sommes vivants nous pourrons dire si nous nous sommes trompés. »
Normalement, je devrais conclure ce billet en criant au génial. Pourtant, si tout est parfait comme je l’ai dit, et si quelques textes m’ont vraiment touché, globalement je suis moins enthousiaste car j’ai trouvé le recueil trop « intellectuel », comme s’il me tenait à distance respectueuse, l’air de dire « je suis trop bien pour toi ! ».
« M. Adria était un mystère. Peut-être millionnaire ; solitaire, certainement. Il ne sortait pas de chez lui, jamais, toujours en train de lire, de remuer des livres, de rédiger des fiches ou de les consulter ; ou de défaire, la passion sur la pointe de la langue, les paquets contenant ses nouvelles acquisitions, essentiellement des livres d’occasion, vieux, parfois très vieux. Il était obsédé par les livres. Toni était un obsédé sexuel, mais M. Adria était un obsédé des livres. Aujourd’hui, jour de poussière, elle finirait épuisée, le nez desséché et dans la gorge le goût de la poussière, parce que dans cette maison les murs de livres étaient sans fin et la poussière s’y accrochait comme seule la poussière sait le faire. » [Poussière]
Jaume Cabré Voyage d’hiver Actes Sud – 291 pages –
Traduit du catalan par Edmond Raillard
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