Pierre Lemaitre : Alex
04/07/2018
Pierre Lemaitre, né en 1951 à Paris, est un écrivain et scénariste français. Psychologue de formation et autodidacte en littérature, il effectue une grande partie de sa carrière dans la formation professionnelle des adultes, leur enseignant la communication, la culture générale ou animant des cycles d'enseignement de la littérature à destination de bibliothécaires. A partir de 2006 il se consacre à l'écriture en tant que romancier et scénariste, et obtient la consécration en 2013 quand il reçoit le prix Goncourt pour Au revoir là-haut (suivi d’un César en 2018 pour son adaptation au cinéma).
L’écrivain est aussi auteur de polars/thrillers avec sa tétralogie Verhoeven, incluant : Travail soigné, Alex (en 2011), Rosy & John et Sacrifices.
Paris. Alex, une jeune femme, est enlevée dans une rue en pleine nuit et séquestrée dans un entrepôt désaffecté par un possible psychopathe. Alertée par un témoin, la police se lance dans une enquête particulièrement complexe : une victime non identifiée et un kidnappeur encore moins, avec une vie en sursis pour peu temps certainement…
Le roman est découpé en deux parties, plus un long épilogue, chaque part ayant son identité propre. La première partie répond à tous les critères du genre « thriller », angoissante au possible. On ne sait rien de l’homme, sauf qu’il répète à sa victime « Je vais te regarder crever » ; sans entrer dans les détails, si vous avez la phobie des rats, bonjour les suées ! L’enquête est confiée à Camille, un flic usé par un traumatisme pas lointain, le meurtre de sa femme après enlèvement. Les clichés abondent sciemment, mais on les attend comme prévu dans ce type de roman.
La seconde partie déclenche un attrait inattendu : la police retrouve le lieu de la séquestration mais Alex s’est échappée et évaporée dans la nature. Le lecteur découvre alors une personnalité de la victime qu’il était loin d’imaginer ! Le roman monte d’un cran supplémentaire dans la qualité qu’on lui attribuait jusqu’à maintenant. Lecteur et police, ébahis, suivent les « exploits » peu ragoûtants de la donzelle et les cadavres s’empilent à la morgue. A ce moment du scénario, la victime du début a changé de camp mais elle est définitivement morte quand se clôt cette partie. Heu ?
Le long épilogue, la meilleure partie pour moi, fait penser au film Garde à vue (1981) de Claude Miller avec Lino Ventura et Michel Serrault. L’interrogatoire d’un tiers où lentement on découvre qu’il est la cause de tous ces carnages motivés par une vengeance différée. Et là on entre dans l’ignoble, le répugnant, le secret familial sordide. Le lecteur, assommé croit en avoir terminé quand un ultime coup de théâtre vient confondre ce tiers, une justice venue de l’au-delà. Scotchant !
Excellent roman donc. L’écrivain mêle habilement tous les ingrédients, l’angoisse et le sanglant comme dans tous les bons thrillers, la psychologie (Camille et Alex sont deux solitudes devant régler leurs problèmes familiaux) sans oublier un humour tranquille (« … lui enfonce le goulot au fond de la gorge et lui déverse tranquillement un demi-litre d’acide sulfurique concentré dans le larynx. Le Félix, forcément, ça le réveille. Pas pour longtemps. ») . Un roman très « français » (c’est un constat, pas une critique) se démarquant des bouquins américains et très réussi.
« Elle le comprend quand elle voit la tête de l’énorme rat émerger du bord du panier. Dans son champ de vision, sur le couvercle de la cage, deux autres silhouettes sombres passent très vite, accompagnées de ces frôlements qu’elle a déjà entendus. Les deux silhouettes s’arrêtent et glissent la tête entre les planches, juste au-dessus d’elle. Deux rats, plus gros que le précédent, avec des yeux noirs et brillants. Alex est incapable de se retenir, elle hurle à s’en éclater les poumons. Parce que c’est pour cette raison qu’il laisse des croquettes. Ce n’est pas pour la nourrir. C’est pour les attirer. Ce n’est pas lui qui va la tuer. Ce sont les rats. »
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