Philippe Claudel : L’Enquête
13/08/2018
Philippe Claudel est un écrivain et réalisateur français, né en 1962 à Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe et Moselle). Après l'obtention de son baccalauréat en 1981, il mène une vie dissolue pendant deux années, s'inscrivant à l'université de Nancy mais ne la fréquentant guère, passant son temps à écrire des poèmes, des scénarios, à jouer dans de nombreux courts métrages, à créer deux radios libres avec des amis et à pratiquer intensivement l'alpinisme. En 1983 c’est sa femme qui l'incite à reprendre ses études. Il passe une licence de lettres modernes, ainsi qu'une licence d'histoire de l'art et un DEUG d'histoire et géographie. Par la suite, il passe et obtient le CAPES de lettres modernes, puis l'agrégation de lettres modernes. En 2001, il soutient une thèse de doctorat en littérature française. Membre de l'Académie Goncourt depuis 2012. L’Enquête, un roman de 2010.
Un homme (l’Enquêteur), arrive dans une ville (la Ville), pour mener une enquête suite au décès par suicide d’une vingtaine de personnes au sein d’une entreprise (l’Entreprise). Dès sa sortie de la gare, les évènements vont se succéder entrainant l’homme dans un tourbillon incompréhensible, sans queue ni tête mais toujours négatif, comme si les gens, les choses, la ville ou la météo se liguaient contre lui…
Ce n’est pas si souvent qu’on tombe sur un roman hors du commun, loin de ces bouquins se ressemblant tous peu ou prou et qui lassent le lecteur. Ici, de la première à la dernière ligne, vous garderez les yeux écarquillés, ébahis et surpris par chaque situation, avides de connaitre le dénouement, en supposant qu’il vous éclaire… ? En gros je suis passé de l’étonnement inquiet et kafkaïen aux sourires tels qu’ils nous viennent à regarder Jacques Tati dans Mon Oncle, ou un film des Monty Python, avant de replonger dans une légère angoisse résultant de l’ouverture philosophique/métaphysique pessimiste de l’épilogue.
Le roman ignore les noms propres, les gens sont nommés selon leur emploi (L’Enquêteur, le Policier, le Gardien…) et les lieux de même (La Ville, l’Entreprise…) ce qui glace et inquiète immédiatement tout en étant tempéré par des situations drôles (« Le Policier tendait un seau en plastique rose à l’Enquêteur. Celui-ci le saisit sans comprendre. Le Policier en attrapa un autre, un bleu, le retourna et s’assit dessus. « Allez-y, n’ayez pas peur, ils sont assez solides et finalement très confortables. On ne m’a pas encore livré les chaises » »).
L’Enquêteur, un homme quelconque et falot, tentera désespérément tout du long du livre de mener à bien sa mission. Mais les obstacles les plus extravagants/inimaginables vont se dresser sur sa route, de sa chambre d’hôtel si petite que la table de chevet est posée sur le lit et le téléphone fixé au plafond ; la météo neigeuse le soir et chaude en journée ; quand à l’Entreprise, pièces et couloirs sans fenêtres ni fin, interlocuteurs aimables ou pas mais ne répondant jamais à ses besoins… Fourbu, balloté, dépenaillé, blessé, affamé, l’Enquêteur inexorablement cherche à parvenir à son but. Il ne sait plus où il est, ce qui se passe, et ce n’est pas le lecteur qui va l’aider…
Et puis vient l’épilogue, qui éclaire un peu ce qu’on voyait venir en filigrane. Le roman est une métaphore sur la condition humaine, sur la déshumanisation de notre monde (l’Entreprise); plusieurs fois au cours de la lecture, dans ce fatras d’incompréhensions diverses, des détails ou de petits faits nous rappelaient notre vie de tous les jours, et ce qui ressemblait à une histoire hors du temps, n’en devenait que plus proche de nous par ces minuscules points de contact. In fine, l’Enquêteur rencontrera l’Ombre ou le Fondateur de l’Entreprise, un avatar de Dieu, un vieil homme usé, voire désabusé sur l’avenir de sa création, au point de baisser les bras et de s’en désintéresser : « Qu’ils se débrouillent ! »
Un excellent roman.
« Dans chacune de ces boîtes, se disait-il, il y a un homme, un homme pareil à lui, qu’on avait chahuté, malmené, qu’on avait laissé espérer, auquel on avait fait croire qu’il avait une mission à remplir, un rôle à jouer, une place pour exister, qu’on avait fait tourner en bourrique, humilié, rabaissé, auquel on avait désigné la fragilité de sa condition, de ses souvenirs et de ses certitudes, un Enquêteur peut-être ou qui se prétendait tel, un homme qui désormais hurlait et frappait contre les parois sans que jamais personne ne puisse lui venir en aide. Un homme qu’il aurait pu être si sa boîte à lui, moins solide ou davantage maltraitée, ne s’était ouverte. Lui qui s’était pensé si longtemps unique, il mesurait l’importance de son erreur et cela le terrifiait. »
Philippe Claudel L’Enquête Stock – 278 pages –
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