Tibor Déry : Niki ou l’histoire d’un chien
18/10/2018
Tibor Déry (1894-1977) est un écrivain, scénariste et traducteur hongrois. Partisan de Mihály Károlyi, il doit s'exiler à l'arrivée au pouvoir de Béla Kun. Il vit notamment en Autriche et en France avant de rentrer en Hongrie en 1935. Il est emprisonné sous le régime de Miklós Horthy pour avoir traduit Retour de l'U.R.S.S. d'André Gide. Exclu du parti communiste en 1953, il soutient la Révolution hongroise de 1956 et est emprisonné jusqu'en 1960. Niki ou L’histoire d’un chien roman datant de 1957 a été traduit chez nous en 2010.
Budapest au début des années 50. L’ingénieur Ancsa et sa femme, recueillent une jeune fox-terrier, Niki « le chien », sorte de compensation affective suite au décès de leur fils sur le front russe. Entre le couple et l’animal des liens profonds vont se créer et le temps passant, le rôle de soutien passera du couple au chien et inversement.
Il a vraiment une bonne bouille ce toutou, du moins celle affichée en couverture de l’ouvrage et elle reflète parfaitement le sentiment général qui se dégage de ce roman : l’écoute, l’intelligence et la bonté. Il est vrai aussi que le chien, le meilleur ami de l’homme comme on dit, ne peut être qu’un bon sujet de roman/film, sauf quand on tombe dans le mièvre, ce qui n’est pas le cas avec Niki je vous rassure immédiatement.
Restons sur le personnage du chien ; tous ceux qui ont un chien seront épatés par la manière très réaliste et juste avec laquelle Tibor Déry décrit ses actes, ses mimiques, ses réactions face aux évènements ou aux gens. Ca peut sembler un peu banal et nous dire qu’un chien est intelligent enfoncer une porte ouverte, mais quand c’est bien écrit, je dis « respect ! ».
Et ce roman est très finement écrit, tout en légèreté et petites touches brossant en arrière-plan la situation politique du pays sous le joug communiste. Pour une peccadille ayant offensé un haut fonctionnaire du Parti, Ancsa bien que communiste convaincu, est renvoyé de son poste, de mois en mois il sera affecté à des emplois de plus en plus inférieurs à ses capacités, jusqu’au jour où il disparaît, arrêté et emprisonné sans motif connu durant deux ans sans que sa femme ne sache ce qu’il est devenu.
Durant tout ce temps, Niki sera le seul soutien moral de l’épouse, toujours dans l’attente confiante du retour du disparu, toujours à japper derrière la porte quand il croit reconnaitre son pas. Son amour indéfectible pour son maître est un modèle du genre. Une manière pour Déry, sous forme de parabole, de montrer que dans cette Hongrie où l’homme n’est plus rien, à peine une silhouette dans la foule, seul un animal conserve intact ses sentiments et son amour pour son maître, entrant dans une résistance obstinée passant par peur et passion, jusqu’à l’épilogue magnifique autant que poignant.
Comme on peut le constater durant tout le roman Tibor Déry est d’une précision pointilleuse dans les noms de rues (« elles arrivèrent dans l’avenue Istvan (la future rue Landler Jenö) ») et il n’hésite pas à interpeller le lecteur maintes fois (« Imaginons maintenant l’état d’âme de Mme Ancsa… ») resserrant les liens d’empathie entre ses personnages et son lecteur.
Un roman très court, très fin, très touchant.
« Un attroupement assez considérable s’était formé entre temps derrière Mme Ancsa, qui criait furieusement, et les employés, dont les semelles claquaient sur le pavé. Les gens manifestaient bruyamment leur indignation devant cette chasse ignoble et, amassés sur le trottoir, ils livraient passage à la chienne tout en gênant la course de ses poursuivants. Du reste, les agents de la fourrière ont toujours été impopulaire à Budapest et, à la faveur de la tension générale qui régnait alors sur la ville, toute la rue fit cause commune contre eux. Avec eux, on ne se gênait pas pour dire bien haut ce qu’on pensait. Or, comme il s’agissait de trois gaillards taillés en hercule, on leur conseillait de se choisir un autre gagne-pain, comme par exemple travailler dans une mine ou sarcler les pommes de terre. On les traitait aussi de bourreaux. »
Tibor Déry Niki ou L’histoire d’un chien Circé poche – 153 pages –
Traduit du hongrois par Ladislas Gara [Imre Laszlo]
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