Benjamin Whitmer : Evasion
22/10/2018
Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'Etat de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié en 2012 son premier roman, Pike. Il vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver. Son nouveau roman, Evasion, vient de paraître.
En 1968, le soir du réveillon, douze détenus s’évadent de la prison d’Old Lonesome, dans une petite ville du Colorado. A leurs trousses, les gardes de la prison tenue d’une poigne d’acier par le directeur Jugg, un traqueur hors pair Jim Cavey, deux journalistes locaux soucieux d’en tirer une bonne histoire, mais aussi Dayton, une trafiquante d’herbe qui ne sort jamais sans un coupe-boulon, décidée à retrouver son cousin Mopar avant les flics. De leur côté, les évadés, séparés, suivent des pistes différentes en pleine nuit et sous un blizzard impitoyable. Très vite, une onde de violence incontrôlable se propage sur leur chemin.
Les deux précédents romans de l’écrivain m’ayant emballé, ils sont chroniqués ici, je n’ai pas hésité une seconde à me lancer dans cette Evasion. Et ça démarre très fort. « Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » comme chantait l’autre. D’emblée nous sommes prévenus, le directeur Jugg n’est pas du genre à rigoler, maître de la prison et de la ville, il n’est pas question que sa loi et l’ordre soient remis en cause, les évadés vont réintégrer fissa leurs cellules, morts ou vifs, et plus certainement morts si c’est la solution la plus simple. Ses sbires ne s’encombrent pas de préjugés moraux et dopés jusqu’aux yeux d’amphétamines, ils foncent. Les évadés sont eux-mêmes des coriaces, bien vite certains sont tués et d’autres repris. Hors-la-loi et représentants de l’ordre, comme deux meutes de bêtes ignobles.
Le reste du casting et il est important en quantité - puisque presque toute la ville est impliquée dans cette histoire - est du même tonneau, un ramassis de canailles ou d’acteurs liés les uns aux autres par des chaines familiales, amoureuses ou professionnelles, chaines dont les maillons sont forgés dans la haine ou les griefs, des caractères marqués à vie par les guerres de Corée et du Vietnam. Une ville bien pourrie que tout le monde hait et voudrait quitter mais n’a jamais le courage de le faire, « Quand on ne trouve rien d’autre à faire, on roule. C’est ça la vie, dans cette ville. On roule pour se laisser croire qu’on peut partir. »
Du lot émergent, Jim qui semble décidé à rattraper Mopar vivant, mais le traqueur est lesté d’un fardeau psychologique qui en anéantirait plus d’un ; Dayton qui n’est pas blanc-bleue non plus et qui sait tenir tête à n’importe quel mec ; enfin ce jeune Mopar, pour lequel le lecteur se prend un peu d’affection malgré son passé criminel, car il est tellement naïf dans son rêve d’évasion qu’il semble un agneau parmi les loups. Or que peut un agneau cerné par une horde de canis lupus ?
Benjamin Whitmer adopte une narration éclatée, on passe d’un groupe de personnages à d’autres, le passé vient éclairer le présent et les liens vérolés entre les uns et les autres apparaissent plus clairement. Les scènes de violences existent mais ne sont pas si nombreuses que cela, par contre la psychologie noire des acteurs du roman est épouvantable, personne n’est innocent dans ce bourbier de Noël !
Alors ? Je me suis régalé durant les deux premiers tiers du bouquin mais - malgré toute l’estime que je garde pour l’écrivain – trop c’est trop ! Avec ce livre il en fait des tonnes, outrancier dans la noirceur, il rate son but. Comme le dit le proverbe, « le trop est l’ennemi du bien » mais comme je ne veux pas condamner définitivement Benjamin Whitmer, je dégaine un autre proverbe plus optimiste, « qui peut le plus, peut le moins », un conseil pour son futur roman !
« Mopar marche. Tous ses plans se barrent en couille, tous. Comme si c’était pas ce que les plans font toujours. Il n’a jusqu’à présent pas fait un seul bon choix. Il a le .38, il a son fusil, il a un manteau, et toutes ces choses sont bonnes. Mais la neige ne se calme pas et la température baisse sérieusement et ses pieds sont mouillés et lui font mal comme si quelqu’un les avait passés à la ponceuse électrique. Alors que faire ? Il n’ira nulle part dans ce blizzard. Il est tellement fatigué qu’il sent que son cerveau commence à larguer les amarres. Il peut à peine marcher. Même s’il avait une voiture il n’arriverait jamais à descendre jusqu’à Fort Collins. Il s’arrête. Il te faut un endroit où attendre la fin de la tempête, espèce d’abruti. C’est comme ça qu’il se parle. »
Benjamin Whitmer Evasion Gallmeister – 404 pages –
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
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