Alexandra David-Néel : Le Grand Art
05/11/2018
Louise Eugénie Alexandrine Marie David, plus connue sous le nom d’Alexandra David-Néel née en 1868 à Saint-Mandé, morte en 1969 à Digne-les-Bains, est une orientaliste, chanteuse d'opéra et féministe, journaliste et anarchiste, écrivaine et exploratrice, franc-maçonne et bouddhiste de nationalités française et belge. Elle fut, en 1924, la première femme d'origine européenne à séjourner à Lhassa au Tibet, exploit qui contribua fortement à sa renommée, en plus de ses qualités personnelles et de son érudition.
Je connaissais Alexandra David-Néel depuis longtemps par ses récits de voyages et expériences bouddhiques, puis récemment grâce à sa biographie écrite par Laure-Dominique Agniel j’ai appris qu’elle avait débuté dans la vie comme chanteuse d’opéra. Et voici que paraît aujourd’hui, Le Grand Art, un roman jusqu’ici inédit de notre voyageuse écrit en 1902, inspiré de ses connaissances pratiques du monde du spectacle.
Cécile, la narratrice, chanteuse d’opéra se retrouve dans un grand embarras quand le directeur de la troupe d’artistes laisse tout le monde en plan, parti avec la caisse. Recueillie par un marchand de bestiaux dans la région de Besançon, elle va en voir de toutes les couleurs dans un monde d’hommes plus intéressé par son plumage que par son ramage, avant finalement d’obtenir la consécration et l’argent…
Le livre mélange deux genres, le roman et le journal où Cécile note ses souvenirs. Nous allons donc la suivre dans ses tribulations que nous résumerons ainsi : comment pratiquer son art lyrique, grâce à son talent et son travail, sans devoir en passer par la couche de ses employeurs ? Disons-le tout de suite, ce n’est pas possible. Alors pour survivre dans cette jungle, il faudra à Cécile un peu de chance et beaucoup d’intelligence, accepter certains compromis pour obtenir des gains plus grands.
Excellent roman, fort bien écrit d’une plume très moderne (parfois bien coquine aussi) et mené à un bon rythme, outre son intrigue il offre des informations de première main sur le monde du théâtre de cette époque : les artiste courant le cacheton, les humiliations des auditions, le pouvoir exorbitant des directeurs de théâtre ou de ceux sensés vous aider à obtenir des rôles. Il y aura les tournées en France ou à l’étranger, Cécile en passera par le désespoir, acceptant l’inacceptable, croira connaitre enfin l’amour avant les déceptions. Mais in fine, par la ruse, un savant jeu de chat et de souris avec un riche banquier pas dupe, elle obtiendra la sécurité financière et la célébrité à l’Opéra de Paris.
Si le livre date de plus d’un siècle, il conserve une modernité inattendue par le féminisme combatif (#BalanceTon Porc n’est pas loin) de son auteur et son amour de la liberté. Je savais qu’Alexandra David-Néel avait plus d’une corde à son talent, nous lui ajouterons maintenant celui de romancière.
« L’actrice ne peut se contenter, sous peine de perdre de sa valeur cotée, de se faire entretenir matériellement. Il lui faut soigner sa réclame. Pour cela, elle doit s’attirer les bonnes grâces d’une foule de gens : directeurs, régisseurs, auteurs, journalistes – une multitude se renouvelant sans cesse, avec laquelle on n’a jamais fini. Ah dame ! il faut être douée de patience et d’une constitution permettant d’affronter la fatigue !... J’imagine que les moins bêtes de ces individus comprennent que c’est leur pouvoir qui les fait rechercher : mais la fatuité idiote de la plupart d’entre eux doit certainement leur faire croire à un succès mâle désiré pour lui-même. »
Alexandra David-Néel Le Grand Art Le Tripode – 380 pages – Avec cahier photos –
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