Russell Banks : Lointain souvenir de la peau
27/12/2018
Russell Banks, né en 1940 à Newton, dans le Massachusetts, est un écrivain américain. Après des études à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, il voyage, passe même quelque temps en Jamaïque. Il a écrit des romans, des nouvelles et de la poésie. Il enseigne actuellement la littérature contemporaine à Princeton. Depuis 1998, il est membre de l’Académie américaine des arts et des lettres. Très actif politiquement, il est le président fondateur d’une fondation qui s'est donné pour mission d'établir aux Etats-Unis des lieux d'asile pour des écrivains menacés ou en exil. Ce roman, Lointain souvenir de la peau, date de 2012.
Calusa, petite ville de Floride au nord de Tampa. Le Kid, jeune homme d’une vingtaine d’années, sort de prison avec un bracelet électronique à la cheville assurant sa surveillance permanente pour une durée de dix ans. Condamné comme délinquant sexuel il est obligé de maintenir un no man’s land entre lui et les enfants, devenu un paria pour la société son seul abri s’avère être un viaduc éloigné du centre-ville, sous lequel se sont réfugiés quelques damnés de son espèce. Un jour, un professeur d’université directeur du département de sociologie le contacte car il s’intéresse à son cas…
Un roman riche en questionnements et réflexions sur notre époque mais aussi en ambiguïtés. Le sujet principal traite du sexe et plus précisément, de la pornographie sur Internet et de l’addiction qui peut en découler, pouvant éventuellement se prolonger par des conversations anonymes sur des forums dédiés pour se terminer en vraies rencontres.
Le Kid, élevé par une mère célibataire souvent absente, n’a pas eu de vie de famille. Introverti et puceau, il ne connait que le sexe virtuel et quand il tentera de se lancer dans le grand bain après une rencontre sur un forum, c’est dans un piège tendu par la police qu’il va tomber et être condamné par la justice. Ambiguïté néanmoins : durant tout le roman, le Kid nous sera sympathique et l’on souhaiterait vraiment qu’il s’en sorte, mais au départ il a bien été pris chez une gamine de quatorze ans, seule pour le week-end, avec des accessoires pornographiques…. Certes il n’avait encore rien fait et d’ailleurs aurait-il été jusqu’au bout, tant il nous semble si gentil ? Mais qui sait… ?
Puis entre en scène, celui qui sera appelé le Professeur. Marié, deux enfants, sociologue d’une très grande intelligence et de renommée locale, c’est un obèse qui englouti des quantités prodigieuses de nourriture et qui a pour projet « de guérir le Kid de sa pédophilie (…) en transformant sa situation sociale » afin de prouver que la pédophilie « est un dysfonctionnement sexuel engendré par une société dysfonctionnelle », « si c’était une maladie mentale, alors c’est la société tout entière qui en souffrirait à un degré ou un autre. » Mais son intérêt pour le jeune homme et sa communauté, ne serait-il pas « un autre moyen de les amener à faire ce qu’il veut. A des fins mystérieuses que lui seul connaît »…. ? Et là l’écrivain joue sur le, qui est-on vraiment ? Savoir ou croire savoir…
Le lecteur est amené à s’interroger sans cesse, tant sur la trame narrative et le dénouement possible du roman, que sur les questions et réflexions soulevées par l’écrivain ou mises en évidences : l’industrie de la pornographie, films ou internet et ses déviances à la portée de tous d’un clic de souris, le sexe devenu virtuel par le biais des écrans d’ordinateurs ; mais aussi la société de surveillance continue dans laquelle nous vivons, là encore d’un clic ou deux de souris, on peut savoir (du moins aux Etats-Unis pour l’instant) si un condamné habite dans le quartier, son nom, adresse, crime… ; enfin, Russell Banks ajoute une autre friandise intellectuelle à son propos, « peut-on jamais connaître la vérité de quoi que ce soit » s’interroge-t-il… Sur ce, je vous laisse méditer !
« Répondre à la question du véritable nom du Kid ne devrait pas être difficile. Pas besoin de rester là à attendre que le Kid veuille bien le donner. Il n’a qu’à aller, via Google, sur le site du Registre national des délinquants sexuels. Là, cliquer sur trouver les délinquants, puis chercher par lieu et entrer le nom Calusa. Une carte apparaîtra, parsemée de petites cases colorées : chaque case représente le lieu où demeure un délinquant sexuel condamné et sa couleur, rouge, jaune, bleue ou verte, indique la nature du délit. Le rouge désigne les actes perpétrés contre des enfants ; le jaune marque le viol ; le bleu, l’agression sexuelle ; et le vert dénote les « autres délits » qui peuvent être n’importe quoi depuis la « sodomie au deuxième degré » et « l’abus sexuel au deuxième degré » jusqu’au « comportement obscène et lubrique ». C’est sans doute la couleur du Kid, étant donné la durée relativement brève de la peine. »
Russell Banks Lointain souvenir de la peau Actes Sud – 444 pages –
Traduit de l’américain par Pierre Furlan
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