Karl Ove Knausgaard : Aux confins du monde
02/01/2019
Karl Ove Knausgaard, né en 1968 à Oslo, est un romancier norvégien. Après des études d'art et de littérature à l'université de Bergen il publie un premier roman en 1998 et reçoit pour son livre le prix de la Critique. Karl Ove Knausgaard vit en Suède avec sa femme, elle aussi écrivain, et leurs enfants. Connu pour son cycle de six romans autobiographiques intitulé Mon combat, Aux confins du monde, le quatrième volume de la série, paru en 2017, vient d’être édité en poche.
Commençons par une boutade : six cents pages pour un roman qui peut se résumer en une seule phrase, ça ne manque pas de sel. Car de quoi est-il question ici si ce n’est qu’un jeune gars de dix-huit ans, obsédé par les filles et ne pensant qu’à « ça » en vain, ne réussira son coup qu’à la toute dernière page ! Evidemment il se passe d’autres choses, mais c’est quand même le fil rouge du bouquin.
Karl Ove Knausgaard a dix-huit ans, il s’est dégotté un poste de professeur dans une école aux confins du monde, à l’extrême nord de la Norvège dans un minuscule village de pêcheurs. Un job pas trop prenant qui doit lui laisser du temps libre pour écrire des nouvelles car il rêve de devenir écrivain. C’est cette année scolaire que nous allons suivre à ses côtés, un présent complété de flash-back sur ses deux années passées : la séparation de ses parents refaisant leur vie, son père qui boit, ses rapports avec son frère ainé ou le reste de sa famille. Outre la littérature (sont cités de nombreux écrivains dont certains, locaux, m’étaient inconnus, il avoue ne pas aimer Milan Kundera), il se passionne aussi pour la musique rock, un temps il sera critique musical pour un journal alors qu’il n’a que seize ans (nombreuses références citées, comme une play-list des groupes à la mode des années 80).
Dans le bled où il a atterri, tout le monde se connait et d’un point de vue ethnologique/sociologique on peut s’étonner de certaines pratiques : les gens entrent chez vous quasiment sans frapper pour discuter, les gamins peuvent injurier leur professeur (« Tête de pine ») sans que le directeur de l’école trouve cela choquant etc. « Pour moi, c’était inconnu et exotique » reconnait l’auteur.
Dans ces rudes contrées où les distractions sont rares et pour peu qu’on soit jeune que reste-t-il, à par picoler, écouter des disques et rêver aux filles ? Pour Knausgaard, boire plus que de raison est dans sa nature, en découle des situations agaçantes pour le lecteur et rendant peu sympathique le héros de l’histoire. Reconnaissons au moins la grande honnêteté de l’écrivain qui ne cache rien de ses travers. Quant aux filles, la grande affaire de sa vie alors, le KOK du village toujours à deux doigts de conclure avec des beautés locales (en langage cru sans métaphores), en sera pour ses frais, sauvé in extremis à la dernière page du roman par un coup (sic !) imprévu autant que drolatique avec une gourmande pas vraiment gironde, lors d’un festival de rock…
Autobiographie romancée, roman initiatique d’un jeune homme finalement très seul, en quête de liberté comme on l’est à cet âge, toujours prêt à faire la fête pour peu qu’elle soit alcoolisée, musicale et propice à draguer ; mais c’est aussi un trouble et très limite rapport entre ce professeur et sa jeune élève de treize ans seulement (« …une enfant qui était une femme qui était une enfant et dont j’aimais tant la présence »).
Comme pour les précédents volets de ce monument littéraire, je précise qu’ils peuvent être lus indépendamment les uns des autres. Celui-ci m’a semblé particulièrement simple à lire, moins de retours en arrière, plus linéaire dans sa narration. Et à chaque fois, je suis pris par l’écriture de Karl Ove Knausgaard capable de me faire ingurgiter des centaines de pages sans que je rechigne ou cale en chemin, tout s’enchaine avec facilité, le rythme est plaisant, les évènements surprenants, on s’amuse un peu, on s’agace, on s’interroge, bref un bouquin plein de vie.
« Quand je ne parvenais pas à écrire, il arrivait que je m’habille et que je sorte me promener dans le village endormi, j’entendais le ressac des vagues sur la côte, contemplais les parois de la montagne qui, à cause de la neige, donnaient d’abord l’impression de flotter dans la nuit, puis d’être entièrement englouties par elle. Parfois j’entrais dans les bâtiments de l’école. Il pouvait être trois ou quatre heures du matin, je voyais mon reflet dans les fenêtres, mon visage vide, mon regard vide. Il m’arrivait de rester là à lire un livre sur le canapé de la salle des profs, ou de regarder un film à la télévision ou tout simplement de dormir quelques heures, jusqu’à ce que le bruit d’une porte qu’on ouvre brusquement me réveille et que Richard entre, c’était souvent lui qui arrivait le premier le matin. Il n’en fallait pas plus pour qu’un sentiment de chaos me submerge et que, privé de tout contrôle sur quoi que ce soit, je sois au bord… de quoi, en réalité ? »
Karl Ove Knausgaard Aux confins du monde Folio – 608 pages –
Traduit du norvégien par Marie-Pierre Fiquet
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