Ma Jian : China Dream
14/02/2019
Ma Jian est un écrivain, poète, photographe, peintre et romancier chinois né à Qingdao en 1953. Il commence sa carrière comme journaliste au service de la propagande des syndicats chinois jusqu'en 1983. En 1986, il quitte Pékin pour Hong Kong car ses œuvres satiriques sont très peu appréciées du gouvernement chinois. En 1997 il quitte la Chine pour l'Allemagne puis à partir de 1999 il s'établit à Londres où il habite toujours.
Le lieu : une ville du Sichuan, une province chinoise, de nos jours. Ma Daode le narrateur, est un haut fonctionnaire d’une soixantaine d’années, marié, de nombreuses maîtresses, menant une vie luxueuse autant que luxurieuse. Directeur du Bureau du Rêve Chinois (« une déclaration de guerre contre le concept occidental réactionnaire de démocratie constitutionnelle ») il envisage d’implanter dans le corps de chaque Chinois, une puce électronique qui effacera des esprits et des mémoires, tous les souvenirs des évènements passés pouvant entraver la marche du pouvoir. Par ailleurs, il doit faire procéder à l’évacuation d’un village de paysans pour qu’on y construise une zone industrielle, promesse de richesses à venir pour les habitants…
Ma Jian l’annonce clairement dans un avant-propos, « ce livre est rempli d’absurdités, réelles ou inventées », et il nous donne les clés pour démêler le vrai du faux. Heureusement car sinon le lecteur passerait tout son temps de lecture les yeux levés au ciel en une interrogation muette perpétuelle : ce fameux Bureau existe bien mais les puces sont une invention de l’écrivain, à ce jour il ne s’agit « que » de propagande.
Fable ou pamphlet, l’auteur y va fort contre la Chine de Xi Jinping, une tyrannie aussi subtile qu’un rouleau-compresseur, prête à tout pour faire entrer de force dans les cerveaux les idées favorables à ses plans et à y éradiquer toutes pensées subversives. Cette Chine n’est que corruption, retournements de vestes selon l’air du temps, léchage de bottes et soumission à l’autorité du moment.
Malgré son rang, Ma Daode n’est qu’un pantin. Cobaye volontaire il s’est fait implanter la puce mais bien vite il va en subir des effets secondaires non prévus, au lieu d’effacer ses souvenirs, tout au contraire, ceux-ci remontent de son moi profond où il les avait enterrés définitivement croyait-il. Et ce n’est pas joli car ils le ramènent au jeune homme qu’il était en 1968, lors de la Révolution Culturelle de Mao : souvenirs atroces et dramatiques quand on n’hésitait pas à livrer sa propre famille à la vindicte populaire… Souvenirs venant se mêler à la réalité d’aujourd’hui, le village qu’il veut faire évacuer, il y vécut lors de ces années de troubles et les gens le reconnaissant lui balancent ses quatre vérités. Au passage, cet épisode n’est pas sans nous rappeler un épisode français récent avec des Zadistes du côté de Nantes…
Le roman est très bon, le sujet est puissant : un état décidé à tout mettre en œuvre pour rien moins qu’effacer un passé qui lui colle aux fesses. Il y a là matière à de belles discussions, interviews dans les médias etc. Pour autant, je l’avoue humblement, je n’ai pas pris beaucoup de plaisir à lire ce roman. Comment l’expliquer ? Je tente une approche : j’aurais préféré lire un essai ou une étude sociopolitique sur ce sujet, un truc clair et net, plutôt que cette forme romancée qui balance entre deux eaux.
« Pour que le rêve chinois commun imprègne les esprits, il me semble évident que tous les rêves et les souvenirs privés doivent être effacés au préalable. Moi, Ma Daode, je me porte volontaire pour me laver le cerveau en premier. Je suggère que nous commencions dès maintenant à travailler au développement d’une puce neuronale, un minuscule dispositif électronique, que nous pourrions appeler « Implant du Rêve Chinois ». Lorsque le prototype sera prêt, je me l’insèrerai dans la tête, comme ça, et tous mes rêves passés partiront en fumée… » A ces mots, il s’est levé et a fait semblant de s’enfoncer une puce dans l’oreille. Mais maintenant qu’il a vu son « moi » du passé apparaître devant ses yeux, il se rend compte des problèmes que ses souvenirs exhumés pourraient provoquer. »
Ma Jian China Dream Flammarion – 200 pages –
Traduit par Laurent Barucq – A noter que la couverture du livre est une œuvre originale de l’artiste Ai Weiwei –
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