Philip Roth : La Tache
28/02/2019
Philip Milton Roth (1933-2018) est un écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans. La Tache, roman paru en 2002, s’inscrit dans le cycle Nathan Zuckerman. Le livre a été adapté au cinéma en 2003 (La Couleur du mensonge) par Robert Benton avec Anthony Hopkins et Nicole Kidman, au grand désespoir de l’écrivain !
1998 dans le New Jersey. Coleman Silk, vieil homme à la retraite, demande à son voisin écrivain, Nathan Zuckerman, d’écrire un livre retraçant son histoire. Sa femme vient de mourir, épuisée par les médisances à l’encontre de son époux, ancien doyen de l'université d'Athena, poussé à prendre sa retraite suite à une accusation de racisme. Dans un premier temps Zuckerman renonce à ce projet mais les deux hommes nouent une sorte d’amitié ; quand plus tard le vieil homme décède, l’écrivain revient sur sa décision initiale et se lance dans une enquête sur la personnalité de Coleman Silk qui va s’avérer riche en surprises…
Première source d’étonnement, Coleman Silk (71 ans) depuis son veuvage avait une maitresse, Faunia Farley (34 ans), outre la différence d’âge importante, elle occupait un poste de femme de ménage, sachant à peine lire. Cette liaison faisait jaser à plus d’un titre et lui attira de puissantes inimitiés : que ce soit de la part de Delphine Roux, une jeune française qu’il avait lui-même recrutée et qui avait grimpé très vite dans la hiérarchie de l’université, menant une cabale contre lui ; à moins que ce ne soit, Lester Farley, ex-époux de sa maîtresse, la tenant pour responsable de la mort de leurs deux jeunes enfants dans un incendie, et comme l’homme est gravement perturbé par un traumatisme post-guerre du Vietnam, il serait capable de tout et pourquoi pas de l’irrémédiable : Coleman Silk et Faunia sont morts dans un accident de voiture, Zuckerman soupçonne Lester d’être impliqué dans ce drame.
Si le secret, j’y reviendrai, de Coleman Silk est au coeur du roman, le personnage de Faunia est à coup sûr le plus puissant du livre. Violée par son beau-père, battue par son mari, ses enfants morts, désormais vivant de petits boulots… Leur liaison est improbable, écart d’âge conséquent, différence de milieu social trop importante, eux-mêmes savent que leur romance ne pourra pas durer mais elle est un symbole de leur liberté, envers et contre tous. Un scandale local rejoignant le scandale national, nous sommes en plein pendant « l’affaire Monica Lewinsky », pour les jeunes lecteurs, il s’agit de cette stagiaire qui n’hésitait pas à se mettre à genoux devant le président Bill Clinton dans le bureau ovale de la Maison Blanche… Ce qui déclencha une hystérie collective.
Et puis il y a le terrible secret de Coleman Silk, je peux le révéler, il ne nuira pas à votre lecture si vous ne connaissez pas encore ce roman, certains passages prennent même plus de sel quand on est dans la confidence. Le doyen de l’université, que tout le monde voyait comme un intellectuel juif de bonne extraction était en fait un Noir à la peau très claire d’origine modeste se faisant passer pour un Blanc ! Même accusé de racisme (pour l’emploi d’un mot à double sens du quel les mauvaises langues se délectent toujours) il n’avouera pas son secret pour être disculpé. Ici aussi, cette identité falsifiée avait pour but, non pas de renier sa race mais de lui offrir une plus grande liberté afin de vivre la vie qu’il se choisirait.
Un grand livre de Philip Roth, comme toujours. Roman de la souffrance : celle d’un vétéran du Vietnam, d’une femme maltraitée et d’un homme victime d’une accusation mensongère. Roman de la dénonciation du politiquement correct, du puritanisme, du mensonge et de la calomnie. Roman de l’identité et des masques.
« Trois mois plus tard, lorsque j’ai appris son secret et que je me suis mis à écrire ce livre – ce livre qu’il m’avait demandé d’écrire au départ, mais que je n’écrivais pas forcément comme il l’aurait souhaité -, j’ai compris enfin ce qui sous-tendait ce pacte : il lui avait raconté toute son histoire ; Faunia était la seule à savoir comment Coleman Silk était devenu lui-même. Comment je sais qu’elle le savait ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas pu m’en assurer, je n’en ai pas les moyens. Maintenant qu’ils sont morts, personne ne peut savoir. Pour le meilleur ou pour le pire, je ne peux faire que ce que chacun fait quand il croit savoir : j’imagine ; j’en suis réduit à imaginer. Il se trouve que c’est ainsi que je gagne ma vie, c’est mon métier, je ne fais rien d’autre à présent. »
Philip Roth La Tache Gallimard – 442 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun
4 commentaires
J'ai totalement détesté ce livre... sans doute parce que le héros n'en est pas un, extrêmement antipathique pour moi, ce qui constitue plutôt un bon point pour l'auteur. Le problème est qu'après ça je n'ai pas réessayé de lire Roth, c'est un peu la honte. Il faudrait que j'essaie de lire ses premiers textes qui me plairaient peut-être mieux.
Antipathique le héros du roman ? Je n’ai pas ressenti cela… Par contre, concernant ce roman, il paraît que c’est l’un des préférés des lecteurs de Roth : ce n’est pas mon cas ! Par contre il faut absolument que vous retentiez votre chance avec un autre bouquin de l’écrivain, il y en a pour tous les goûts, car c’est un immense auteur…
C'est un des plus grands romans que je connaisse et qui décrit si bien l’Amérique puritaine que j'ai rencontré et aussi celle du "politiquement correct" un grand auteur que ce Philippe Roth
Philip Roth est l’un de mes écrivains préférés… comme pour beaucoup de monde et c’est largement mérité !
Les commentaires sont fermés.