Robert Margerit : Mont-Dragon
08/04/2019
Robert Margerit (1910-1988) est un journaliste et écrivain français. Après des études secondaires achevées à Limoges, tenté par le notariat, mais aussi par l'histoire, la littérature, la natation, l'équitation, la peinture, avant de devenir un romancier prolifique (nouvelles, soties, critiques d'art, théâtre, émissions radiophoniques), Robert Margerit est journaliste à Limoges dès 1931. Mont-Dragon, roman paru en 1944 et qui vient d’être réédité, avait été adapté au cinéma en 1970 par Jean Valère, avec Jacques Brel.
Pendant l’Occupation dans un manoir isolé du Limousin. Les Boismênil qui élèvent des chevaux engagent Georges Dormont, un écuyer de qualité (meilleur cavalier du Cadre Noir) pour augmenter les performances de leur entreprise. Bien vite Dormont va semer le trouble dans ces lieux qui jusqu’alors vivaient paisiblement. Distant et maître de lui, sa forte personnalité agace, révulse mais aussi attire irrémédiablement, c’est selon. Ici vivent, entre autres, Germaine de Boismênil, veuve récente, et sa fille Marthe timidement courtisée par Michel un ami de son frère. C’est Marthe qui jusqu’alors s’occupait des chevaux avec l’aide de Georges un vieux serviteur, aussi quand les méthodes de travail modernes de Dormont s’opposeront à celles de Georges, il s’en fera immédiatement un ennemi. Voilà pour le décor général.
Venons-en au cœur de l’affaire et disons-le clairement, il s’agit d’un roman érotique mais rassurez-vous, d’un très haut niveau littéraire. Pour le résumer grossièrement, Dormont c’est l’arrivée du coq dans le poulailler mais un coq pervers : il tentera en vain de séduire la fille mais réussira à prendre la mère ; il flirtera avec Pierrette la bonne puis diaboliquement mettra Germaine et Pierrette dans le même lit sous son œil concupiscent (« il comptait jouir à la fois du spectacle de leur charme et de la notion de leur avilissement »). N’oubliez pas que j’ai dit que c’était de la haute qualité littéraire, ce qu’un résumé plus que rapide ne peut exprimer.
Si vous avez été élevé dans la lecture des grands classiques de la littérature française, vous retrouverez ici le goût des phrases onctueuses et longues en bouche, le vocabulaire riche et choisi avec soin. Certes, tout le roman tourne autour du sexe et du marivaudage (tendance perverse) dans une tension sensuelle permanente, mais l’écrivain manie trop bien la langue (Glups !) et ses subtilités pour nous éviter les scènes de sexe crues et trop souvent ridicules ou gratuites comme on en trouve dans tant de bouquins d’aujourd’hui. Tout est magnifiquement dit pour laisser l’imagination du lecteur faire le plus gros du travail et mettre les images qui conviendront à sa sensibilité.
Ce roman est un régal d’analyses psychologiques, Dormont est un cynique dominateur, un perpétuel insatisfait qui ne trouve son plaisir qu’en entrainant ses conquêtes dans sa chute. De la réservée Germaine il fera son jouet allant jusqu’à la pousser au lesbianisme. Quant à Marthe, l’ingénue, après avoir résisté aux ruses machiavéliques de ce diable d’homme, à la fin du roman, mûrie par les évènements, elle s’affichera comme une vraie femme. Jeux de domination, jalousies, haines, peines et frustrations, instants de plaisir fugaces…
Pour enrichir ce beau roman, les chevaux et l’art du dressage avec la métaphore mettant en parallèle Erèbe l’étalon et Dormont l’écuyer, une pointe de sorcellerie pour la couleur locale et une esquisse de polar en épilogue car pourquoi le taire, le tragique viendra ternir ces moments d’hédonisme.
« Pour sa fierté cette nuit fut terrible. Par sa fenêtre entrait toute la frémissante bestialité des ténèbres où luisait faiblement entre les nuées une lune opaline. Marthe, impuissante à dominer les forces également ténébreuses qui l’accablaient, se sentait compromise, par sa faiblesse et son plaisir, dans une universelle sujétion à l’instinct. Esclave, consentante de corps à cet esclavage qui faisait bramer les biches dans les bois et les juments dans l’écurie : voilà ce qu’elle était à présent !... Elevée dans une famille voltairienne où l’on pratiquait la lettre de la religion pour raison politique, mais où l’on ne croyait pas, elle n’éprouvait point l’horreur d’avoir commis un péché. C’est l’abdication de sa volonté, sa soumission aux sens, qui l’emplissait de honte. »
Robert Margerit Mont-Dragon La Petite Vermillon – 410 pages –
Les commentaires sont fermés.