Joyce Carol Oates : Daddy Love
18/04/2019
Joyce Carol Oates, née en 1938 à Lockport dans l'Etat de New York, est une femme de lettres américaine, à la fois poétesse, romancière, nouvelliste, dramaturge et essayiste. Elle a également publié plusieurs romans policiers sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly. Son œuvre, conséquente, a fait l’objet de nombreux prix littéraires. Son roman Daddy Love date de 2016.
Robbie, cinq ans, arraché à la main de sa mère est enlevé sur le parking d’un centre commercial du Michigan. L’homme qui l’emporte avec lui, Daddy Love, de son vrai nom Chester Cash, est prédicateur itinérant pour l’Eglise de l’Espoir éternel. L’enfant restera prisonnier de son ravisseur pendant six longues années…
Le roman débute comme un véritable thriller et ne s’éloignera guère du genre tout du long mais avec ce petit plus redevable à Joyce Carol Oates, son talent d’écriture et sa préoccupation première, l’analyse psychologique.
Les deux principaux personnages sont donc le ravisseur et l’enfant. Chacun avec une double personnalité se dévoilant au fur et à mesure qu’avance l’intrigue. Chester Cash/Daddy Love : le prédicateur est un homme doux et bon aux yeux des autres, vivant seul avec son fils quand il en a la garde, la mère impie résidant ailleurs ; Daddy Love par contre est un prédateur sexuel récidiviste qui se plait à enlever de jeunes garçons de cinq ans, puis s’en débarrassant quand ils atteignent une dizaine d’années.
La séquestration s’apparente à du dressage, usant d’arguments psychologiques et physiques. D’abord, rebaptiser l’enfant en Gideon pour effacer son identité (tout en l’appelant Fils quand il s’adresse à lui) et le déstabiliser puis lui faire croire que ses parents l’ont abandonné, « Ils ne voulaient plus de toi. Ils t’ont vendu comme dans une vente aux enchères. Mais tu es en sécurité avec Daddy Love maintenant. » Enfin, les sévices corporels pour le punir de ses mauvaises actions, comme l’enfermer dans une sorte de cercueil. A ce régime, au bout d’un certain temps, le gamin « dompté » peut même circuler seul à l’extérieur de la maison, redoutant en permanence la menace invisible planant au-dessus de sa tête. Les années passent, l’enfant grandit et lui aussi offre un double visage : Fils, obéit sans broncher aux ordres, tandis que Gideon commence à se rebeller intérieurement.
L’auteure ne néglige pas les parents biologiques. La mère qui avait été sérieusement brutalisée lors du rapt en garde des séquelles graves et à ses souffrances physiques s’ajoute l’angoisse perpétuelle mêlée d’espoir constant, certaine de retrouver son fils un jour. Le couple de parents se délite.
Le roman est dur c’est certain mais je tiens à préciser pour les âmes sensibles que l’écrivaine n’en rajoute pas dans les souffrances physiques ou sexuelles, elle s’en tient surtout à l’angle psychologique (et ce n’est pas rien, nous sommes d’accord). Daddy Love n’est pas toujours violant, ses accès d’emportements brutaux sont comme le ressac de la mer, ils arrivent comme vagues puis s’éloignent avant de revenir encore et encore.
Quand s’achève le bouquin, l’enfant est délivré de son tortionnaire mais ce happy end n’est qu’apparent car la fin reste néanmoins mystérieuse et franchement inquiétante.
« L’enfant apprendrait vite : tout acte de désobéissance, si minime soit-il, serait immédiatement puni. Pas d’exception ! Tolérance zéro ! Et quand l’enfant obéirait et serait un vrai fils pour Daddy Love, il serait immédiatement récompensé par de la nourriture, de l’eau, le réconfort des bras puissants de Daddy Love et les douces intonations de sa voix. Celui-ci est mon fils bien-aimé qui a toute ma faveur. Ainsi l’enfant apprendrait vite. Ils apprenaient tous. »
Joyce Carol Oates Daddy Love Editions Philippe Rey – 267 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban
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