Sándor Márai : Les Mouettes
26/08/2019
Sándor Márai (de son vrai nom Sándor Grosschmied de Mára) né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux Etats-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil qui le mènera de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Les Mouettes, un roman datant de 1943.
Budapest. Un haut fonctionnaire reçoit dans son bureau du ministère une jeune finlandaise désirant obtenir un permis de séjour. Elle est professeure de langues et souhaite enseigner en Hongrie. Cette rencontre imprévue sidère l’homme, la jeune femme ressemble à s’y méprendre à une jeune fille qui fût son grand amour mais qui s’est suicidée il y a cinq ans pour un autre…
Bien qu’il s’agisse d’un roman, le texte présente toutes les caractéristiques d’une pièce de théâtre. Deux acteurs, un homme (dont on ne saura jamais le nom) et une femme (Aino Laine) ; un lieu quasi unique, le bureau du fonctionnaire ; et la fameuse unité de temps, leur discussion courant le temps d’une nuit, entre la toute fin de journée et l’aube.
Le roman est très mystérieux : l’entame plonge le lecteur dans l’interrogation, y-a-t-il là une touche de surnaturel avec une femme revenant du pays des morts, à moins que l’intrigue ne soit plus prosaïque à la manière d’un Hitchcock, genre belle espionne en quête d’informations auprès d’un fonctionnaire qui vient justement de rédiger quelques heures auparavant un rapport ultra secret qui engagera l’avenir du pays dans la guerre qui gagne l’Europe ? Et pour tout dire, même quand le livre se referme, éloignée l’idée du surnaturel, reste une part d’incertitude… volontaire, car tout ceci n’est que poudre aux yeux. L’art et la manière d’un grand écrivain pour tenir son public en haleine et lui faire avaler son propos.
Ce livre - où l’on retrouve avec plaisir le style de l’auteur, un rythme apaisant et ouaté où l’esprit prend ses aises pour réfléchir à la vie, ses aléas et la mort – est un roman philosophique.
Sous l’épée de Damoclès suspendue au-dessus des deux protagonistes, à savoir la guerre qui se propage à travers l’Europe, les deux acteurs, l’homme principalement, vont discourir toute une nuit sur la nature du couple (il est unique depuis l’origine jusqu’à la fin des temps, seules de légères différences identifient les paires) ; sur l’amour « et ce qu’on cherche dans les bras de l’autre » ; sur la vieillesse et la mort, une obsession pour le fonctionnaire, « un homme, un vrai, ne fait pas ses adieux à la jeunesse avec sentimentalisme et avec émotions » ; et sur la place des gens dans ce monde, pourquoi se rencontre-t-on ou pas, « au-delà des emportements et des passions » ? Quelle est la part du destin dans tout cela et d’ailleurs le destin existe-t-il ?
Un roman très intellectuel, parfois répétitif mais toujours fascinant, voire hypnotique. Je ne pense pas qu’on puisse le placer parmi les meilleurs livres de Sándor Márai mais j’ai trouvé là, matière à un excellent moment de lecture.
« … oui, comme les mouettes qui atterrissent ici, guidées par leur instinct qui les emmène du Nord dans cette direction parce que, dans leur lutte pour la vie, elles espèrent y trouver les conditions atmosphériques et la subsistance dont elles ont besoin. Ce n’est pas une expérience banale, ordinaire… Il est vrai que je cherche à comprendre les phénomènes et les signes sur un mode humain. Mais que puis-je faire d’autre ? Je ne suis qu’un homme. Le deuxième exemplaire m’a trouvé, elle a appuyé sur la poignée de la porte et, avec l’assurance des somnambules, elle a pénétré chez moi, l’homme pour lequel ce visage, ce physique, ce regard et ce sourire signifient davantage que pour les autres, le million d’habitants de cette cité. Il ne peut s’agir que d’une provocation démoniaque ; on dirait qu’ils sont habiles ces temps-ci, là en bas, à organiser le quadrille infernal, les grandes valses du mal masqué. Quel instinct a mené cette femme chez moi ? »
Sándor Márai Les Mouettes Albin Michel – 226 pages –
Traduit du hongrois par Catherine Fay
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