Guillaume Lavenant : Protocole gouvernante
12/09/2019
Guillaume Lavenant, diplômé de l'INSA de Lyon, reprend des études en lettres modernes à Rennes, en 2001. En 2007, après son master de lettres, il partage son temps entre son métier d’ingénieur, l'écriture théâtrale et la mise en scène au sein du collectif nantais Extra Muros. Son premier roman, Protocole gouvernante, vient de paraître.
Dans une banlieue pavillonnaire tranquille, un couple aisé engage une gouvernante pour s’occuper de leur fillette Elena. La jeune femme qui s’immisce timidement, en apparence, dans leur intimité, va apporter le chaos…
Si vous aimez les romans pas banals vous allez être servis, et si je le dis, vous pouvez me croire car il en faut beaucoup pour m’épater. Mais attention, on peut être épaté sans pour autant être entièrement satisfait…
Ce qui fascine dans ce livre – qu’on pourrait qualifier de thriller – c’est bien entendu et comme le souligne tous ceux qui l’ont lu, son écriture et la formidable astuce de narration employée par l’écrivain. Tout le roman, de la première à la dernière ligne, est un récit en « voix off » débité sur un ton injonctif par un inconnu – dont on ne saura jamais rien – intimant des ordres à la gouvernante, tirés d’un protocole qui semble avoir été rédigé par un certain Lewis.
J’ai vu deux parties dans cet ouvrage. La première et la plus longue, marie les banalités de la vie courante, de la vie de tous les jours. Les deux parents travaillent, la fillette va à l’école, les repas et les courses, le voisinage, etc. des évènements sans intérêt aucun. Sauf qu’ils sont vus par la gouvernante, ou plus exactement, prévus et annoncés à l’avance par la mystérieuse voix off qui s’adresse à elle. Au fur et à mesure, le lecteur va être intrigué, étonné puis inquiet car un malaise non identifié commence à s’abattre sur le récit comme le brouillard sur la lande. La gouvernante n’est pas là par hasard, tout a été combiné dans un but qu’on ne connait pas mais qui ne peut qu’être néfaste ou aux conséquences graves. La seconde partie du roman débute vers la page 140, une brusque accélération des évènements dans tous les sens du terme : le calme angoissant devient tohu-bohu frénétique autant qu’incompréhensible et le restera jusqu’au bout.
Et nous touchons-là aux limites de ce bouquin. Car à l’inverse des thrillers qui après nous avoir apeurés proposent des épilogues au moins explicatifs, ici, le lecteur en reste pour ses frais avec des interrogations plein ses poches. Chacun tentera d’apporter une lumière sur cette parabole volontairement obscure : qui est Lewis qui semble être le cerveau de tout ce micmac ? De quel club fait-il partie et qui sont ses membres, Beatz, Strand, Sky etc. ? Quel est ce complot qui on l’apprend tardivement, touche de nombreux autres foyers ?
Je pense avoir lu un roman social, voire même politique. Une métaphore sur nos vies étroites, les banlieues pépères avec nos petites vies réglées comme du papier à musique et qui ne comprennent rien quand surgissent des mouvements incontrôlés, en apparence anarchiques… suivez mon regard… ! Peut-être suis-je complètement à côté de la plaque. Cette difficulté à interpréter le sens de ce roman en fait sa grande force mais aussi, pour certains, sa faiblesse. Un roman à lire, car terriblement déroutant et innovant. En sortirez-vous comblés, ça c’est une autre histoire…
« Le pire qui puisse arriver à ce moment-là serait qu’ils descendent à l’improviste parce qu’ils ont entendu un bruit ou parce que leur prendra l’envie de boire un verre d’eau, de manger un yaourt. Si cela arrive, il faudra vous précipiter dans la cuisine et baisser les yeux, éviter qu’ils se doutent de quoi que ce soit, c’est tout ce qui compte, les laisser penser que vous vous êtes vous aussi, levée pour boire un verre d’eau, manger un yaourt. Ils ne doivent pas avoir le moindre doute, se demander ce que vous faites là, à cette heure. Pour eux, la vie doit être la même ce soir-là que la veille. Sous aucun prétexte ils ne doivent vous trouver dans le vestibule. S’ils commencent à se poser des questions, alors tout sera compromis. »
Guillaume Lavenant Protocole gouvernante Rivages – 190 pages –
4 commentaires
A feuilleter, ça m'a eu l'air stressant. En tout cas, original. Et puis des livres qui n'apportent pas toutes les réponses, ça existe. Prenez Epépé par exemple, on reste dans un flou agaçant (mais génial) ou Le mur de Hauhoffer, où l'on conjecture beaucoup, ou Harpman et Moi qui n'ai pas connu les hommes.
Ce roman est-il de la même veine?
Heureux de vous lire Keisha….
Difficile pour moi de comparer ces romans avec celui-ci car je n’ai lu (et adoré) que « Epépé » de Karinthy. L’histoire de près comme de loin n’a aucun rapport, seul point commun effectivement, l’interrogation qui subsiste quand on referme le bouquin. « Protocole gouvernante » est angoissant car le lecteur est dans l’inconnu d’un bout à l’autre et qu’il ressent une menace. Menace double : sur les acteurs du livre mais plus insidieusement et sans pouvoir bien l’expliquer, sur sa propre existence…. ! Un roman à lire impérativement, quelque soit l’opinion finale qu’on en retirera.
Je reviens car depuis je l'ai lu et partage votre avis. C'est à découvrir.
Cependant comme je voulais savoir, le problème des trucs à suspense, j'ai eu tendance à lire en diagonale ce qui ne m'intéressait pas, par exemple la série à la télé, et à me concentrer sur les détails explicatifs distillés dans la narration. Une fin un poil rapide, un peu ouverte.
Tout est très mystérieux dans ce roman et la « série télé » est l’un de ces éléments les plus interrogeant ????
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