T.C. Boyle : San Miguel
16/09/2019
T.C. Boyle (Tom Coraghessan Boyle) est un écrivain et romancier américain né en 1948 à Peekskill dans l’Etat de New York. Depuis 1978, il anime des ateliers d’écriture à l’Université de Californie du Sud et vit près de Santa Barbara, dans une maison dessinée par l’architecte Frank Lloyd Wright. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles ainsi que de nombreux romans. Celui-ci, San Miguel, date de 2014.
L'île de San Miguel est la plus à l'ouest de l'archipel des Channel Islands de Californie, un bout de terre aride où broutent les moutons et fréquentée par les phoques. C’est dans ce rude décor, ce microcosme, que T.C. Boyle plante sa saga courant sur presque un demi-siècle, à travers deux familles qui viendront s’y installer successivement.
Le roman débute le jour de l’an 1888 quand Marantha Waters débarque sur l’île avec son mari Will et sa fille adoptive Edith. C’est lui qui les y a entrainées car il a une idée fixe, être à son compte. Ils ont investi leurs économies dans ce projet, l’élevage de moutons et la revente de leur laine, puis plus tard quand les affaires marcheront un gérant viendra les remplacer sur place. Pour ajouter un argument à son choix, Will avance que le climat local ne peut qu’être favorable à la santé de Marantha souffrant de tuberculose. La maison est un taudis, une quasi-ruine, tout doit être récuré et réparé…
La seconde famille, Elise et Herbie Lester, s’installe en 1930. Ils sont jeunes mariés, elle arrive de la bonne société de la côte Est, lui a fait la Grande Guerre et en conserve un éclat d’obus dans le corps. Eux s’installent dans une maison en bon état et confortable pour continuer à pratiquer la seule activité possible ici, l’élevage des moutons, poussés par l’enthousiasme d’Herbie, « ils avaient rendez-vous avec la vraie vie, la vie au contact de la Nature, la vie selon Thoreau et Daniel Boone, simple, vigoureuse et pure. »
Une fois encore l’écrivain nous embarque dans une histoire étourdissante et riche en aventures mais surtout extrêmement touchante pour ne pas dire plus car bâtie autour de trois portraits de femmes – Marantha, Edith et Elise - qui en passeront par l’espoir, la déception, l’amour et la fidélité, des naissances d’enfants, la souffrance et même pire… Impossible de résumer une telle somme, trop d’évènements : les rudes conditions de vie sur l’île et les trop rares visites qui en font des Robinson Crusoé, mais aussi le contexte économique et social de ces époques comme la crise économique et la Grande Dépression, la guerre avec le Japon qui les place dans une situation inconfortable etc.
Si l’Homme et la Nature servent de toile de fond au récit, le plus intéressant réside dans l’angle psychologique entre chacune et son époux, ou bien entre Edith et Will. Certes, toutes auront de bons moments mais sur la durée cette vie isolée s’avèrera un cauchemar. Toutes s’évaderont de l’île (si on peut dire) mais en en payant le prix fort, au risque de faire rimer « fort » avec « mort ». Un magnifique roman.
« Elle aurait pu autrefois avoir choisi de rester à Manhattan, de s’installer dans l’appartement avec vue sur l’East River sur lequel elle avait jeté son dévolu, et mener sa vie comme si elle avait glissé sur un fil de chez elle au travail et retour, à feuilleter les fiches du catalogue de la bibliothèque, ôtant l’enveloppe d’un sandwich à l’heure du déjeuner à son bureau au pied des hautes fenêtres, dînant au restaurant du coin, avec les bougies fondant dans des coupelles sur les tables et le menu du jour écrit à la craie sur le tableau au-dessus du bar. Elle aurait pu aller à Paris, retourner à Montreux ou chez sa mère à Rye, où chaque année était la réplique de la précédente, où le seul changement était le changement des saisons. Or Herbert Steever Lester avait frappé à sa porte et elle avait fait le grand saut, s’était transportée sur cette île qui ne lui était déjà plus rien… »
T.C. Boyle San Miguel Le Livre de Poche – 660 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle
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