Harry Crews : Péquenots
10/02/2020
Harry Crews (1935 - 2012) est un romancier américain. Orphelin de père dès l’âge de deux ans, confronté à un beau-père alcoolique et violent, son enfance est marquée par les conditions de vie difficiles dans le Sud rural et de graves problèmes de santé. A 17 ans il s’engage dans le corps des Marines, où il passera trois années durant lesquelles il combat en Corée et découvre la littérature. Il intègre ensuite l’université de Floride pour des études d’anglais, qu’il interrompt en 1956 pour une virée de 18 mois en moto à travers les Etats-Unis. Il exercera jusqu’en 1997 comme enseignant d’anglais dans plusieurs écoles et universités de Floride.
Si l’écrivain était connu chez nous pour ses romans noirs (fortement recommandables), Péquenots qui vient de paraître est un recueil de seize textes, des reportages parus dans les magazines Esquire et Playboy entre 1974 et 1977. Une virée au cœur de l’Amérique profonde écrite dans le style de Hunter S. Thomson, inventeur en 1970 du journalisme gonzo dont je vous rappelle la définition : « une méthode d'enquête et un style d'écriture journalistiques ne prétendant pas à l'objectivité, le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne. »
Nous suivons donc l’écrivain dans divers univers, très différents les uns des autres : le monde des jockeys et courses de chevaux, celui des forains avec ses freaks et leurs combines, celui des chauffeurs routiers ; il y a aussi des randonnées dans la nature où les rencontres peuvent être a priori inquiétantes ou très étonnantes que ce soit avec des péquenots locaux ou des touristes en camping-car ; et puis il y a encore d’autres types de rencontres, celle avec un vieil homme rongé par le souvenir d’une éléphante pendue ou celle, dans le cadre d’un entretien avec le célèbre acteur Charles Bronson.
Des portraits hauts en couleurs d’hommes et de femmes qui vivent au cœur de l’Amérique, trimballant leur misère comme leurs petits bonheurs futiles en bandoulière, semblant vivre retranchés sur leur propre condition. L’auteur pénètre ces mondes avec facilité car rien ne lui est étranger, ces gens sont de sa race, il connait ou déchiffre facilement leurs codes. Occasion pour l’écrivain de livrer au fil de ses discussions ou enquêtes des éléments de sa propre vie : sa passion amoureuse pour les voitures et en particulier la première qu’il ait eue (La bagnole), son expérience avec les oiseaux de proie (La buse va voler) tout comme avec l’alcool et les bars (Mardi soir avec Cody, Jimbo et un poisson). On notera aussi sa grande humilité d’homme peu confiant dans son talent d’écrivain, distillée par petites touches tout au long de ces récits « J’avais travaillé juste assez dur et j’en avais appris juste assez pour savoir que je n’étais pas ignoré sans raison par plusieurs milliers d’éditeurs idiots, qu’ils ne passaient pas à côté de moi pour rien. Non, il y avait quelque chose de faux chez moi, j’étais un mec bidon vingt-quatre carats ; c’était ça le problème. » (Le sale cabot de la télévision).
Si l’éditeur cite à juste raison Hunter S. Thomson comme modèle pour Harry Crews, j’ajouterai d’autres références, plus lointaines il est vrai car non basées sur le style mais plus sur l’ambiance se dégageant du texte, comme Dan O’Brien (La buse va voler), Charles Bukowski (Un jockey dans la dernière ligne droite) ou encore Philippe Garnier (Saint Bronson à mains nues, Le sale cabot de la télévision). Quand on parle de musique, on évoque parfois l’americana défini comme un mélange des musiques roots américaine et des traditions qui ont fait l’histoire musicale américaine comme le folk, la country, le rhythm and blues et le rock 'n' roll. Ce bouquin est un peu à la littérature, ce que l’americana est à la musique.
Ma seule petite critique, trois textes (trente grosses pages, pas plus, au total) qui me semblent peu intéressants et qui sont regroupés en fin d’ouvrage, ce qui bloque le sourire de contentement qu’on était en passe d’afficher…
« Je suis resté à boire une vodka, je me sentais bien, bien comme un homme qui sait qu’il est chez lui. Un mois plus tôt, j’avais quitté Lake Swan, où j’avais habité pendant cinq ans. A cause du déménagement, j’avais dû renoncer à la Lonnie’s Tavern de Putnam Hall, et trouver un nouvel endroit où m’asseoir et réfléchir à mes petits soucis. Aussi avais-je cherché l’établissement de Mac comme certains hommes peuvent chercher l’épouse qu’il leur faut ou l’église qu’il leur faut. Il ne s’agit pas de blasphémer, mais j’ai appris il y a longtemps que pour nombre d’entre nous, l’endroit où l’on boit est plus important que ce que l’on boit… » [Mardi soir avec Cody, Jimbo et un poisson]
Harry Crews Péquenots Finitude – 305 pages -
Traduit de l’américain par Nicolas Richard
2 commentaires
Un auteur découvert avec Le chanteur de gospel et la foire aux serpents, et je les ai vraiment appréciés tous les 2. Ces portraits me tente bien, et les éditions finitude apportent par ailleurs à leurs ouvrages un soin qui rend la lecture d'autant plus agréable..
Comme tu l’as bien compris, ce livre n’est pas un roman, donc bien différent de ceux que nous avons pu lire de cet écrivain jusqu’alors, néanmoins il reste le ton et la personnalité d’Harry Crews. Quant à l’éditeur, tu as très bien fait de signaler que ses livres, en tant qu’objet, sont très agréables à manier (qualité du papier) et donc par ricochet… à lire ! Une précision qui n’est pas anodine, nous sommes au moins deux à le savoir.
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