Ian McEwan : Une Machine comme moi
06/02/2020
Ian McEwan, né en 1948 à Aldershot, est un romancier et scénariste britannique. Il a passé une grande partie de sa jeunesse en Extrême-Orient à Singapour, en Afrique du Nord (en Libye) et en Allemagne, où son père, officier écossais dans l’armée britannique, était en poste. Il a fait ses études à l’université du Sussex et l’université d'East Anglia, où il a été le premier diplômé du cours d’écriture créative créé par Malcolm Bradbury. Dès le début des années 1980, Ian McEwan s’impose sur la scène littéraire britannique et plusieurs de ses ouvrages ont été adaptés pour le cinéma. Une machine comme moi est son dernier roman paru.
Charlie, le narrateur, jeune homme d’une trentaine d’années, survit « en spéculant en ligne sur les cours de la Bourse et les taux de change. » Sur une impulsion il claque toutes ses économies dans l’achat d’un androïde de la dernière génération (Adam), le top du top en matière d’intelligence artificielle, dont il n’existe qu’une vingtaine d’exemplaires dans le monde. Sa ressemblance avec les humains est troublante, ses connaissances infinies. Cette proximité avec les hommes est telle, qu’Adam se déclare amoureux de Miranda, la compagne de Charlie, et que celle-ci succombe à son charme ! Le trio vaudevillesque 2.0 est en place mais ce qui ressemblait à une comédie souriante va se muer en drame plus profond…
Voilà ce que j’appelle un bon roman. Outre l’écriture caressante (qualificatif étrange peut-être, mais c’est celui qui m’est venu à l’esprit tout au long de ma lecture) de Ian McEwan qui interdit de lâcher le livre jusqu’à son épilogue, c’est son contenu riche en thèmes divers et bien d’actualité qui emporte le morceau.
Au début du roman j’ai été déstabilisé par des détails anachroniques imprévus qui faillirent m’agacer au plus haut point : nous sommes à Londres en 1982, mais les Beatles se seraient reformés (là j’ai manqué m’étouffer), puis la Guerre des Malouines est perdue par les Britanniques ou encore Georges Marchais est président de la république en France ( !) etc. puis je m’en suis amusé et compris l’idée quand on verra Alan Turing (mathématicien et cryptologue britannique, auteur de travaux qui fondent scientifiquement l'informatique (1912-1954)) toujours vivant, intervenir dans le récit.
Les thèmes abordés sont nombreux. Il y a bien entendu ces androïdes qui soulèvent mille questions, sociales ou morales. Et là le lecteur ne peut s’empêcher de penser, et si je possédais un tel « objet » chez moi ? J’avoue qu’à la lecture du roman, c’est aussi fascinant qu’inquiétant. Or, qu’y-a-t-il de plus attractif qu’une attirance effrayante…. Hein ? Les jeunes lecteurs reliront certainement avec profit ce bouquin dans le futur pour comparer la fiction d’aujourd’hui et le présent de demain.
L’écrivain en vient à s’interroger sur les conséquences économiques de cette intrusion dans un monde déjà passablement bordélique et le tableau n’est pas jojo. Cet angle n’est pas le moins intéressant du bouquin, au contraire, et nous ramène directement à ce que nous vivons en ce moment (agitation sociale).
A cela, viennent s’ajouter d’autres sujets comme le viol des femmes (justice/vengeance) et l’adoption des enfants remis aux services sociaux après maltraitance par leurs parents biologiques. Thèmes de plein pied dans le livre puisque Miranda a été violée jadis (effet thriller en ligne rouge durant tout le texte) et désir d’enfant pour la même avec l’adoption d’un gamin… Pour chacun de ces sujets, Adam de par ses connaissances illimitées, s’avérera un guide trop parfait pour Miranda et Charlie, humains imparfaits puisque tel est notre état.
Pour conclure, un roman bien ancré dans le monde actuel (intelligence artificielle, femmes violées, crise sociale, monde en plein cahos etc.) partagé entre les désillusions d’un constat affligeant (tout va à vau-l’eau) mis en évidence par la rigueur trop rigide de l’androïde (l’esprit humain est trop contradictoire). Mais dans cette désespérance, néanmoins et pourrait-on dire envers et contre tout, l’amour peut survivre.
« On crée une machine possédant l’intelligence et la conscience de soi, et on la précipite dans notre monde imparfait. Un tel esprit conçu selon des principes généralement rationnels, bienveillant envers autrui, se trouve vite aux prises avec un ouragan de contradictions. Nous en avons fait l’expérience, et la liste nous fatigue d’avance. Nous pouvons guérir des millions de maladies mortelles. Des millions de gens vivent dans la misère alors qu’il y a de quoi les nourrir. Nous dégradons la biosphère alors que nous savons qu’elle est notre seule demeure. (…) Nous vivons avec ce tourment, et nous ne nous étonnons pas de réussir à trouver le bonheur malgré tout, et même l’amour. Les esprits artificiels ont moins de défenses que nous. »
Ian McEwan Une Machine comme moi Gallimard – 386 pages –
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
4 commentaires
Pas de souci, cet auteur fait partie des 'je le lis systématiquement'
En plus vous le qualifiez de bon roman, que faut-il de plus? (que la bibli se bouge!)
Ne vous plaignez pas de votre bibliothèque, à lire vos billets je devine qu’elle est beaucoup mieux fournie que la mienne, surtout en nouveautés. Vous nous direz ce que vous pensez du roman de Ian McEwan mais je crois que c’est l’un de ses meilleurs… ?
J'avoue que je crains d'être gênée par ces anachronismes, et comme j'ai Délire d'amour en attente sur mes étagères, je ne vais pas faire de la lecture de ce titre une priorité, ça attendra la sortie poche... parce que je le lirai quand même, j'adore cet auteur, et ton avis est tout de même assez convaincant !
Ne t’inquiète pas pour les anachronismes, j’ai un peu exagéré le trait, ce ne sont que détails infimes dans ce roman ! Par contre, lis ce roman, il est véritablement très intéressant.
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