George Orwell : Dans la dèche à Paris et à Londres
02/03/2020
George Orwell, pseudonyme d’Eric Arthur Blair, né en 1903 au Bengale et mort en 1950 à Londres, est un écrivain, essayiste et journaliste britannique. Politiquement engagé, il prend part à la guerre civile espagnole en 1936 dans les rangs des milices trotskistes mais l’attitude des communistes espagnols finit par ébranler ses convictions politiques d’homme de gauche. Ecrivain, il est célèbre pour ses romans, La Ferme des animaux (1945) et surtout 1984 (1949). Dans la dèche à Paris et à Londres est un récit autobiographique de George Orwell paru en 1933 et publié sous le titre La vache enragée, dans sa première traduction de 1935.
Nous sommes à la fin des années 1920, début des années 30, l’écrivain n’est encore qu’un jeune homme inconnu, glissant quand il le peut un article à de vagues journaux, vivant entre Paris et Londres et comme l’indique le titre de son ouvrage, dans la précarité absolue. Récit autobiographique donc, rédigé à partir des notes qu’il a prises durant cette période, sur un mode très journaliste de terrain, mais involontaire. Le bouquin est en deux parties comme on s’en doute.
La première se déroule à Paris, on suit principalement l’écrivain dans sa recherche d’un boulot avec un pote nommé Boris, un Russe qui se fait fort de leur dénicher le pactole dans l’hôtellerie ou la restauration, secteur dans lequel il brilla autrefois. Outre la misère vécue par l’auteur (la faim, la crasse des lieux où il tente de loger…) on voit au plus près les conditions de travail des petites mains de ces secteurs d’activité, des conditions de travail harassantes, des horaires insensés, les castes entre les différents métiers (plongeurs, femmes de chambres, cuisiniers, serveurs…) « une échelle de préséances aussi rigoureusement définie que dans une armée », l’hygiène déplorable derrière les portes réservées au personnel (en cuisine etc.) ; us et coutumes sont dévoilées. On note aussi qu’Orwell, encore jeune il est vrai, ne paraît pas particulièrement futé, accordant un crédit optimiste à un Boris peu fiable aux yeux du lecteur, préférant lâcher la proie pour l’ombre, à savoir un job usant dans un hôtel pour une éventuelle place dans un restaurant en construction…
La seconde partie se passe à Londres où une connaissance lui a proposé un bon travail, place qui ne sera libre que dans un mois. Mois de misère là encore, où il fréquentera les trimardeurs, les asiles de nuit et les soupes populaires en compagnie de figures originales, Paddy l’Irlandais sympathique mais néanmoins « il avait tout à fait la mentalité du trimardeur moyen : bassesse, envie – le caractère d’un chacal » ou de Bozo, l’estropié qui fait des dessins d’humour sur les trottoirs. Ici nous découvrons les coulisses de la misère ambulante, celle des chemineaux qui vont d’asiles en soupes populaires, de villes en villes, d’un quartier de Londres à un autre. Leurs astuces et leurs trucs pour grappiller un vague repas gratuit ou une nuit à l’abri dans un bouge abjecte.
Deux parties car deux lieux géographiques différents, où il semble que la vie des nécessiteux soit plus facile à supporter à Paris qu’à Londres en raison des règlements et lois plus contraignantes outre Manche. S’ajoutent à ces descriptions factuelles et anecdotiques, des réflexions sur ce monde de la grande pauvreté : « la question qui se pose est alors : pourquoi méprise-t-on les mendiants ? » ou encore « posons une question fondamentale : pourquoi d’une manière générale, y-a-t-il des vagabonds ? » A ces questions, George Orwell propose des pistes de solutions mais également des démonstrations parfois brumeuses….
Un récit où il n’est question que de misère et de pauvreté, pourtant, est-ce dû à mon esprit particulier, j’ai souvent trouvé motif à sourire ! J’imagine que le récit ayant été écrit plusieurs années après ces épreuves, George Orwell en avait digéré la dureté, ce qui lui a permis d’adopter le ton relativement léger caractéristique de ce texte ?
Un bouquin très intéressant et qui explique le futur parcours politique et social de l’écrivain.
« Je tiens toutefois à souligner deux ou trois choses que m’a définitivement enseignées mon expérience de la pauvreté. Jamais plus je ne considérerai tous les chemineaux comme des vauriens et des poivrots, jamais plus je ne m’attendrai à ce qu’un mendiant me témoigne sa gratitude lorsque je lui aurai glissé une pièce, jamais plus je ne m’étonnerai que les chômeurs manquent d’énergie. Jamais plus je ne verserai la moindre obole à l’Armée du Salut, ni ne mettrai mes habits en gage, ni ne refuserai un prospectus qu’on me tend, ni ne m’attablerai en salivant par avance dans un grand restaurant. Ceci pour commencer. »
George Orwell Dans la dèche à Paris et à Londres 10-18 - 291 pages –
Traduit de l’anglais par Michel Pétris
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